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Gouvernance: les ruptures nécessaires pour la transition Gouvernance: les ruptures nécessaires pour la transition
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Pierre Calame, président de la Fondation Charles Léoplold Mayer pour le Progrès de l’Homme.

 

Propositions pour le collectif français Rio + 20 et pour le forum social thématique de Porto Alegre

 

Avertissement : le texte ci-après regroupe de manière synthétique des propositions. Il ne s’intéresse qu’à des propositions de « rupture » et non aux multiples améliorations qu’il est possible d’apporter aux systèmes existants. Il fait partie d’une série de quatre textes correspondant chacun à l’un des quatre thèmes retenus par le Forum Social thématique de Porto Alegre (24-29 janvier 2012) : éthique ; territoire ; gouvernance ; transition de l’économie vers des sociétés durables.

 

Dans la présentation de chaque thème, la grille d’analyse reprend les quatre thèmes. D’où la répétition d’un texte à l’autre : le croisement territoire – économie se retrouve dans les mêmes termes dans le texte « économie » et dans le texte « territoire », de manière à ce que chacun des quatre textes puisse lu séparément.

 

 

 

Propositions et résumés

A/ Gouvernance : la nécessité d'une révolution

 

La gouvernance peut se définir comme l'ensemble des concepts, représentations mentales et culturelles, institution, corps sociaux, règles, dispositifs divers qui contribuent ensemble à la gestion d'une communauté, depuis le local jusqu'au mondial. C'est de toute éternité au cœur de chaque société. Les modalités actuelles de la gouvernance, en particulier l'existence de systèmes juridiques élaborés et fondés sur du droit écrit disposant d'un appareil policier pour en faire respecter les décisions, l'existence d'administrations professionnelles hiérarchisées au sein des Etats, les relations internationales dominées par les relations entre Etats, la démocratie représentative déléguant à des représentants élus le soin de représenter les intérêts divers de la population, la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, la distribution des compétences entre différents niveaux de gouvernance au sein de l'espace national nous sont si familières que, les confondant fréquemment avec la gouvernance elle-même, nous n'en concevons pas d'autre. Mais ce sont des modalités inventées au cours des précédents siècles en fonction de l'état technique de la société, de l'émergence de communautés plus ou moins larges, de l'idéologie de l'époque et, par-dessus tout, des défis concrets auxquels les différentes communautés avaient à faire face pour survivre et se développer. Les défis du monde au vingt et unième siècle et les systèmes techniques disponibles (on pense en particulier à internet), le degré de développement des sociétés, l'ampleur nouvelle des interdépendances mondiales, obligent à une véritable révolution de la gouvernance. Sans elle, on continuera à « mettre du vin nouveau dans de vielles outres ». Comme on le voit avec la gestion des interdépendances mondiales fondée sur l'affirmation de la souveraineté absolue des Etats et, comme on peut le constater depuis vingt ans, cela ne permet pas de répondre aux défis de plus en plus urgent. Sans une révolution de la gouvernance, l'humanité peut aller vers sa perte comme c'est arrivé dans le passé à tous les peuples qui, par inertie, n'ont pas su adapter leur gouvernance à des situations nouvelles et en sont morts. Cela suppose de revenir aux objectifs et principes fondamentaux de la gouvernance et de les traduire d'une manière nouvelle. La tâche est ardue car la gouvernance doit satisfaire à deux impératifs contradictoires : c'est un point de repère des sociétés, ce qui exige de la stabilité ; c'est un moyen pour la société de répondre à des défis nouveaux, ce qui exige une capacité d'innovation et d'adaptation. Nous repérerons ici les principales remises en cause et la manière de les conduire

 

1.Le nouveau trépied de la gouvernance

 

Dans des sociétés en évolution lente la gouvernance elle-même évolue lentement et on peut la caractériser par ses trois piliers : des institutions (comme nos administrations d'Etat, nos collectivités locales ou encore les institutions du système de l'ONU) ; des compétences allouées aux différents institutions et qui caractérisent l'édifice institutionnel et le partage des responsabilités entre les différents niveaux de gouvernance ; des règles qui décrivent les contraintes que doivent respecter l'ensemble des acteurs publics et privés au nom du bien commun. Ce trépied est si familier que lorsqu'on veut traiter un problème nouveau le réflexe est de créer une institution nouvelle et de lui faire une place dans l'architecture institutionnelle préexistante, en définissant notamment ses prérogatives, ses moyens et ses relations avec les institutions existantes. C'est ce qui est envisagé pour Rio +20 avec la création d'une agence mondiale de l'environnement.

 

Mais dans des sociétés en pleine transformation comme c'est notre cas, il faut adopter un point de vue plus dynamique sur la gouvernance et la fonder plutôt sur trois autres piliers : les objectifs à poursuivre en commun ; l'éthique adoptée pour gérer les relations mutuelles ; les dispositifs de travail mis en place dans une démarche de « résolution des problèmes ». Cela rejoint la réflexion sur la gestion des problèmes complexes, que la gouvernance actuelle, cloisonnée, ne parvient pas à gérer correctement.

 

2. La gouvernance, c'est l'art de gérer les relations

 

Les systèmes actuels de gouvernance, au niveau national comme au niveau international, sont fondés sur une vision mécaniste du monde : selon les principes que l'on retrouve dans l'organisation industrielle du début du vingtième siècle, on croit que pour gérer de façon efficace il faut diviser le travail en tâches et faire prendre en charge chacune des tâches par une organisation spécialisée : la gouvernance fonctionne sur le registre de la séparation. Mais quand un problème devient complexe, ce mode de fonctionnement devient de plus en plus inadapté : le principe de séparation des compétences se heurte à la réalité des problèmes qui ne se laissent pas réduire à cette compartimentation des responsabilités et des politiques. Le système devient de plus en plus schizophrène, les initiatives d'une institution étant contradictoires avec celles des autres. C'est particulièrement visible dans le système international actuel où les agences de toutes sortes agissent selon des orientations contradictoires et entrent en compétition entre elles pour la gestion des problèmes nouveaux. De ce fait la transition vers des sociétés durables est bloquée. Et le problème s'aggrave quand, pour survivre et faute d'une approche globale, les sociétés se mettent à poursuivre des objectifs directement contradictoires, comme la relance de l'économie, pour éviter une grave crise sociale, ou la réduction des consommations, pour préserver la biosphère. Le premier critère de qualité de la gouvernance au 21ème siècle est son aptitude à gérer les relations : entre les problèmes, entre les niveaux, entre les acteurs. C'est donc en mettant la transition au centre et en définissant les modalités de relations entre institutions, niveaux et acteurs que l'on peut construire un dispositif nouveau de gouvernance et les nouvelles règles de coopération. Il est plus important par exemple de redéfinir les règles et critères de l'Organisation mondiale du commerce que de créer une agence spécifiquement en charge du développement durable mais qui ne disposera pas de moyens de faire évoluer une institution dévolue à la liberté du commerce.

 

3. Gouvernance : la grille de lecture des objectifs généraux

 

Pour inventer des modalités nouvelles de  gouvernance, il faut se doter d'une grille d'analyse générale qui stimule la réflexion et la créativité et permet de se nourrir de l'expérience millénaire des sociétés qui ont eu toutes à concevoir et faire évoluer leur gouvernance. Deux grilles s'avèrent à l'usage particulièrement pertinente : les objectifs de la gouvernance ; les principes généraux de gouvernance. Trois objectifs se retrouvent de siècle en siècle : la sécurité de la société face aux menaces du monde extérieur ; la cohésion sociale à l'intérieur ; l'équilibre entre la société et son environnement. Quand l'un des objectifs n'est pas atteint, cela se répercute sur les deux autres, et les trois ensemble recouvrent ce que les biologistes appellent le maintien d'un système dans son domaine de viabilité. Il suffit d'observer la gouvernance économique actuelle pour constater qu'elle atteint de plus en plus mal les deux derniers objectifs. Et à son tour le déséquilibre entre l'activité humaine et la biosphère, particulièrement visible avec le changement climatique ou l'érosion des ressources naturelles, menace à moyen terme la paix. Mais, trop souvent, comme on l'a observé, la segmentation des dispositifs de gouvernance ne permet pas de prendre en compte les trois objectifs à la fois. La première étape est donc d'évaluer la gouvernance locale, nationale et mondiale à l'aune de ces trois objectifs puis de proposer des réformes.

 

4. Gouvernance : la grille de lecture des cinq principes fondamentaux

 

A première vue, les systèmes de gouvernance sont tellement variés d'une époque à l'autre et d'une culture à l'autre qu'on doute que des comparaisons soient possibles. La conviction de l'Occident d'avoir mis au point, à partir du 18ème siècle, un modèle indépassable de gouvernance avec l'Etat de droit et la démocratie représentative nationale, a fait perdre de vue tout ce que l'on pouvait apprendre des autres. L'approche comparative permet de mettre en évidence cinq principes fondamentaux : la légitimité et l'enracinement (est légitime une gouvernance dans laquelle la majorité de la population se reconnaît et où elle s'estime « bien gouvernée ») ; la démocratie et la citoyenneté (irréductible à la démocratie formelle, c'est le fait que chacun se sente vraiment partie prenante de la vie et du destin de la cité) ; la pertinence des dispositifs de gouvernance à l'égard des problèmes à traiter : « on n'enfonce pas une vis avec un marteau et un clou avec un tournevis » (cette analyse doit être faite domaine après domaine et niveau après niveau et conduit à distinguer divers « régimes de gouvernance » adaptés à des réalités elles-mêmes diverses) ; la co-production du bien public, « on ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt », ce qui fait que la création des partenariats entre acteurs de nature diverse est essentielle (par exemple, une gouvernance mondiale qui n'aurait pas chercher à créer des réseaux internationaux d'acteurs participant à la gestion de la planète sera toujours bancale) ; la coopération entre niveaux de gouvernance, encore appelée « gouvernance à multi-niveaux » car aucun problème ne peut être convenablement traité à un seul niveau et l'idée que l'on attribue à chaque type de collectivité des compétences exclusives pour éviter que les uns et les autres ne se concurrencent s'avère en général illusoire.

 

Ces cinq principes ont toute leur valeur pour conduire la transition vers des sociétés durables. Sans leur mise en œuvre de façon audacieuse, et en commençant par une évaluation précise des dispositifs actuels au regard de ces principes (oublions l'ineptie des recettes de « bonne gouvernance » promues un temps par les institutions internationales et tombées aux oubliettes), la transition ne sera pas possible. Prenons le cas de l'énergie : sans une réflexion démocratique sur les modes de vie et les choix collectifs, sans des mécanismes nouveaux d'allocation des ressources rares, sans un partenariat multi-acteurs et sans une coopération entre les différents niveaux de gouvernance il serait impossible de diviser les consommations d'énergie fossile par quatre dans les trente années à venir.

 

5. Gouvernance : la nécessaire diversité des représentations de la société.

 

Regardons l'organisation des relations internationales : elle se réduit pratiquement à des relations entre des Etats présumés souverains, chacun prétendant représenter totalement sa population en défendant contre les autres un prétendu « intérêt national » souvent, hélas, réduit aux intérêts de ses lobbies les plus influents. Rien d'essentiel n'a changé depuis trois siècles ; à l'époque, la vie des différentes sociétés était autonome des autres et le principe se comprenait. Maintenant les sociétés sont plutôt dans la situation de colocataires d'un même appartement, appelés à l'entretenir ensemble et à s'en partager espace et ressources. Il faut donc innover hardiment pour diversifier dans les dialogues internationaux les représentations de la communauté mondiale, les Etats ne constituant qu'un mode de représentation parmi d'autres. L'idée de Forum multi-acteurs était une tentative dans ce sens mais vite dévoyée ; il n'y a pas de réelle construction de réseaux mondiaux correspondant aux différents groupes socio-professionnels, pas de dialogue sur un pied d'égalité entre les différentes formes de représentation.

 

6. Gouvernance : l'institution des communautés.

 

Habitués au cadre traditionnel de la gouvernance au 20ème siècle, celui des Etats, nous avons l'illusion que gouverner c'est gérer une communauté instituée, c'est à dire consciente de partager des valeurs et un destin commun. Or, le premier impératif de la gouvernance est d'instituer une communauté, de faire des groupes plus ou moins nombreux d'hommes et de femmes partageant un même espace une communauté consciente d'être unie par des valeurs partagées, un héritage à faire prospérer en commun, un destin. Sans cette conscience, l'autre n'est qu'un étranger dont le sort n'émeut éventuellement que par compassion mais sans sentiment de coresponsabilité. C'est particulièrement le cas aujourd'hui pour la « communauté mondiale » : ce n'est pas une communauté au sens qui vient d'être défini. Nous ne nous sentons pas de réelles responsabilités les uns vis à vis des autres, nous ne partageons pas les mêmes valeurs, il n'y a pas de mécanismes de gouvernance qui fasse qu'on réunisse de véritables Assemblées mondiales de citoyens, largement médiatisées pour montrer le dialogue qui s'instaure. La société civile organisée ou les Forums sociaux mondiaux n'en sont qu'une image encore déformée.

 

Le problème de l'institution ou de la refondation des communautés se pose à toutes les échelles. Le grand brassage des populations ayant fait des communautés homogènes, héritières d'une longue histoire commune, partageant la même foi, représente l'exception et non la règle. Compte tenu des grands défis qui nous attendent et des sacrifices qu'il va falloir accepter, notamment pour les pays les plus précocement développés et qui ont, parfois pendant plusieurs siècles, tiré à eux la couverture, instituer des communautés à tout niveau et, a fortiori, au niveau mondial, est de la première urgence

 

7. Gouvernance à multi-niveaux : la mise en œuvre du principe de subsidiarité active.

 

La gouvernance à multi-niveaux suppose des mécanismes nouveaux de concertation et de coopération entre niveaux de gouvernance. Il ne suffit pas de décider vouloir coopérer, il faut dire comment le faire. Le principe de subsidiarité active tire bien sûr son nom du principe de subsidiarité : si on veut trouver les meilleures solutions dans une grande diversité de contextes et avec la coopération de tous les acteurs, il faut que les solutions soient inventées et mises en œuvre au niveau le plus « bas » possible. Mais on ajoute « active » : s'agissant de résoudre des problèmes en coopération entre les différents niveaux, le niveau « d'au-dessus » a des orientations à fixer au niveau du dessous. Mais ces orientations ne s'expriment pas en modes de faire imposer de haut en bas (obligations de moyens) ; elles s'expriment en principes généraux, nés de l'expérience (obligations de résultat). Ces principes généraux eux-mêmes ne tombent pas du ciel : c'est le fruit de l'expérience collective. Il ne s'agit donc pas de généraliser des prétendues bonnes pratiques mais de créer sur tous les sujets des processus et bases internationales d'expériences permettant de découvrir ensemble ces obligations de résultat. De la santé à l'énergie, de la fertilité des sols à l'efficience énergétique, de la préservation des écosystèmes fragiles à la gouvernance de villes durables, le champ d'application de ce principe est immense. A vrai dire il est au cœur de tout effort de développement durable.

 

8. Gouvernance mondiale : renforcement et rôle des régions du monde.

 

On ne pourra pas entretenir dans les négociations internationales la fiction d'une assemblée générale souveraine où chaque pays dispose d'une voix. Les membres de l'ONU sont trop nombreux et trop disparates pour que cela ait encore un sens. L'idée même de l'adoption par vote à la majorité qualifiée de dispositions s'imposant à tous s'est évanouie. Elle a été remplacée par des conférences de consensus où tous les pays un tant soit peu influents se sont arrogé le droit de veto, avec pour corollaire la paralysie du système, ou par des directoires du monde auto-proclamés, formés des pays les plus puissants, G8, G20 qui pensent pouvoir décider au nom de tous les autres. Le seul moyen aujourd'hui d'aller vers un système international un peu plus démocratique consiste à instaurer une vingtaine de régions du monde formées de pays contigus et de taille à peu près comparable (la taille moyenne serait de 350 à 400 millions et Chine, Inde, Europe sont en elles-mêmes de telles régions, où chaque pays serait invité à rejoindre la région de son choix parmi les continuités possibles) amenées à négocier entre elles. Très vite pourraient se constituer à cette échelle les formes de représentation plurielles déjà évoquées et des mécanismes de décision à la majorité qualifiée au sein de chaque région et entre les régions. Ce mécanisme s'impose pour tout ce qui concerne la gestion de la biosphère.

 

B/ Gouvernance et Ethique

 

1. La charte des responsabilités universelles, troisième pilier de la communauté internationale

 

Depuis le début des années 70, notamment à partir de la première conférence internationale de Stockholm sur l'environnement, la communauté internationale a pris conscience qu'elle ne pouvait reposer seulement sur les deux piliers adoptés à la fin des années 40 : la charte de l'ONU et la Déclaration universelle des droits de l'homme.

 

Les réflexions menées au cours des dernières décennies ont permis de mieux cerner ce que serait un troisième pilier traitant des interdépendances entre les sociétés et entre l'humanité et la biosphère. S'impose petit à petit l'idée que ce troisième pilier devra prendre la forme d'une charte des responsabilités universelles.

 

2. La charte des responsabilités universelles fournit la trame d'un nouveau contrat social entre les différentes professions et le reste de la société

 

Chaque profession, chaque domaine de l'activité humaine, bénéficie, d'une manière ou d'une autre, du soutien de l'ensemble de la communauté mais doit, en contrepartie, lui apporter un service et respecter des principes éthiques. Cela vaut en particulier pour les scientifiques, les enseignants, les journalistes, les militaires, les dirigeants d'entreprises, etc. Le concept de responsabilité est au cœur de la construction de ce nouveau contrat social.

 

3. Responsabilités et droits sont les deux fondements inséparables de la citoyenneté

 

Être citoyen d'une communauté ce n'est pas revendiquer d'elle des droits sans avoir aucune responsabilité à son égard, mais ce n'est pas non plus être invité à assumer des responsabilités – ne serait-ce que la défense du pays ou la contribution à la vie collective par le biais de l'impôt – sans avoir en contrepartie des droits.

 

Aujourd'hui, la citoyenneté n'a de sens qu'à différentes échelles à la fois, depuis le niveau local jusqu'au niveau mondial. Il doit en aller de même pour l'équilibre entre droits et responsabilités.

 

4. La charte des responsabilités universelles fonde l'élaboration d'un droit international.

 

A acteur international, droit international. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Certes les acteurs économiques et politiques ont à rendre des comptes mais seulement à leurs mandants, les électeurs dans le cas des responsables politiques, les juridictions nationales et les actionnaires dans le cas des acteurs économiques. La charte des responsabilités universelles sera le socle de création de droit international remédiant à ce grave dysfonctionnement du système international actuel.

 

5. La charte des responsabilités universelles devra être transposée dans les différents droits nationaux

 

Seuls les États disposant à ce jour d'un système juridique et policier peuvent définir des sanctions et les rendre applicables. Les conventions internationales n'y deviennent effectives que lorsqu'elles sont transposées dans les droits nationaux. L'Union Européenne est un excellent exemple de l'habitude prise de ces transpositions. On s'appuiera sur ces apprentissages pour mettre en place rapidement la transposition de la charte des responsabilités universelles dans les droits nationaux.

 

6. La création d'une jurisprudence internationale tirée de la mise en œuvre de la charte des responsabilités universelles

 

Au cours des deux dernières décennies, une nouvelle forme de régulation internationale est apparue : une sorte d'espace juridique international informel, constitué d'une internationale des juges se nourrissant mutuellement des jurisprudences nationales. Ce processus doit être renforcé et encouragé pour la mise en œuvre de la charte des responsabilités universelles.

 

7. S'appuyer sur la charte des responsabilités universelles pour renforcer l'effectivité des droits économiques sociaux et environnementaux

 

Nul ne peut nier que l'effectivité de ces droits dépend du niveau de développement et de richesse de chaque société. Il n'empêche qu'à un niveau de développement donné, certains font beaucoup mieux que d'autres avec pourtant les mêmes moyens, comme le montre la dispersion des indices de développement humain au sein d'un groupe de pays de prospérité matérielle équivalente.

 

Le principe de responsabilité universelle appliqué aux Etats conduira les responsables politiques à être mis en face de leur propre responsabilité : tirer de l'expérience de tous les pays de même degré de développement les meilleures solutions, compatibles avec les moyens disponibles, pour apporter à la population les droits économiques sociaux, environnementaux et culturels aussi effectifs que possible.

 

C/ Gouvernance et économie

 

L'œconomie étant une branche de la gouvernance, on peut lui appliquer toutes les réflexions sur les objectifs et les principes de la gouvernance. Cette observation se révèle très féconde pour concevoir de nouveaux concepts, agencements institutionnels et outils. On n'en prendra ici que quelques exemples

 

1. Mettre en place des régimes de gouvernance adaptés à la nature des différents biens et services

 

L'art de la gouvernance réside en particulier dans la capacité à inventer des dispositifs réellement adaptés aux problèmes à traiter. Ce n'est pas le cas de l'économie actuelle qui veut ramener les biens et services à deux catégories : les biens marchands et les biens publics. Au contraire, les régimes de gouvernance du futur devront correspondre à quatre catégories de biens et services : ceux qui se détruisent quand on veut les partager, comme c'est le cas des écosystèmes ou des êtres vivants ; ceux qui se divisent en se partageant mais sont en quantité limitée, comme c'est le cas de la plupart des ressources naturelles et en particulier de l'eau et de l'énergie fossile ; ceux qui se divisent en se partageant mais dont la quantité n'est bornée que par la créativité humaine et le travail, comme les biens industriels, seuls à relever légitiment du marché ; les biens, enfin, comme l'intelligence, l'expérience, le capital immatériel qui se multiplient en se partageant et qui, au lieu d'être gérés par une rareté artificiellement créée par les droits de propriété intellectuelle, devraient être la base de la prospérité et du bien-être de demain.

 

2. Les régimes de gouvernance des ressources naturelles : les quotas négociables

 

La taxe carbone est un impôt régressif dans la mesure où le coût de l'énergie pèse plus lourd dans le budget des familles pauvres que dans celui des familles riches. Par contre, le budget énergie des familles croît avec leur richesse. La quantité de ressources naturelles non renouvelables étant limitée si l'on veut sauvegarder la biosphère, le principe de justice doit présider à leur distribution. Dès lors c'est le système des quotas négociables, où ceux qui consomment moins que leur part d'énergie peuvent la revendre à ceux qui veulent garder un mode de vie coûteux en ressources est un système à la fois respectueux des limites de la biosphère et socialement juste.

 

Ce sont ces quotas négociables qui constituent, dans la monnaie à plusieurs dimensions, une monnaie « énergie » ou une monnaie « ressources naturelles ». C'est ce système qu'il faut instaurer du local au mondial.

 

3. Réintégrer les modes de consommation dans les choix démocratiques

 

Les termes du choix entre consommations et entre modes de vie sont en apparence déterminés par des préférences individuelles mais en vérité celles-ci découlent de choix collectifs qui conduisent à modifier les termes mêmes des choix individuels. L'exemple du transport individuel et du transport collectif en est une bonne illustration. Du niveau local au niveau mondial, il est possible et nécessaire de concevoir les modalités de choix démocratique.

 

D/ Gouvernance et territoires

 

Le territoire est un niveau privilégié de gouvernance car c'est à son niveau que les différents problèmes que rencontre une société sont les plus faciles à appréhender ensemble, et ils touchent de surcroit une population concrète, facilement identifiable. Tandis que les Etats, souvent pris dans la tradition d'administrations cloisonnées, sont malhabiles à gérer ces relations. En matière de transition vers des sociétés durables, les Etats sont souvent du côté du problème plutôt que du côté de la solution. Les progrès significatifs de gouvernance sont donc à rechercher et promouvoir du côté des territoires, des régions du monde ou de la gouvernance mondiale. En outre, là où la gouvernance étatique concevait des systèmes « en poupée russe », hiérarchisés, les territoires ont appris à organiser un passage du local au mondial « en réseau », ce qui correspond beaucoup mieux aux nouvelles réalités. Reste qu'on est encore loin d'avoir valorisé toutes les potentialités des territoires pour renouveler l'approche de la gouvernance. Trop souvent, ils restent marqués par un sentiment d'infériorité par rapport aux Etats, notamment sur la scène internationale, et leurs réseaux passent plus de temps à revendiquer un siège dans les instances des Nations Unies qu'à affirmer et assumer leurs responsabilités nouvelles. Rio+20 devrait être l'occasion, pour des régions et villes conscientes de leur rôle dans la conduite de la grande transition, d'affirmer leur place et d'afficher leurs propositions et leurs engagements.

 

1. Le territoire : espace privilégié de mise en œuvre d'une nouvelle pensée sur la gouvernance

 

L'objectif n'est plus de revendiquer une place dans la « cour des grands » mais de montrer concrètement que le territoire est l'espace par excellence de déploiement d'une nouvelle pensée de la gouvernance. Cela suppose des territoires décidés à prendre un leadership intellectuel et politique, d'appliquer à leur cas les deux grilles de lecture proposées pour la gouvernance, de montrer les progrès auxquels cela permet de parvenir, en passant d'améliorations utiles mais marginales, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui, à des transformations structurelles et en négociant sur ces bases, avec les Etats et la communauté internationale, les moyens de les mettre en œuvre.

 

2. Territoire et pédagogie de la citoyenneté

 

Il n'est pas étonnant que ce soient les villes et régions qui ont pris les devants en matière de démocratie participative. Sur ces territoires, les interactions entre les membres de la communauté restent concrètes, même à l'échelle de très grandes villes. C'est donc l'échelle où l'on peut le mieux apprendre les nouveaux termes et les nouvelles méthodes de la citoyenneté.

 

3. Territoire et gouvernance à multi-niveaux

 

Rares sont les cas où les villes aujourd'hui sont formées d'une seule collectivité locale. Quant aux régions, elles sont presque toujours trop vastes pour s'occuper efficacement de problèmes de proximité. La coopération entre collectivités locales de rang identique et de rangs différents est donc la règle. C'est pourquoi les territoires doivent être vus, au même titre que les relations entre le niveau mondial et le niveau des régions du monde comme le premier champ d'expérimentation et d'application du principe de subsidiarité active.

 

 

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