Documentos
Rio+20: não deixemos passar a hora! Rio+20 : ne laissons pas passer l’occasion !

Également disponible en English, Español, Português

 

Ce texte de Cândido Grzybowski, sociologue et directeur de l’Ibase a été traduit par Isabelle Miranda, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Ceci est un cri d’angoisse et un appel. Seule la citoyenneté mobilisée, accompagnée de propositions, peut empêcher le désastre annoncé d’une conférence de plus de l’ONU. La durabilité de la vie et de la planète dépend de nous, citoyennes et citoyens du monde, qui devons partager entre nous tous la Terre et ses différentes formes de vie, aujourd’hui et avec les générations futures, tout en respectant son intégrité. Nous devons agir pendant qu’il est encore temps de changer de voie et éviter le pire en termes de destruction environnementale et d’impact social du développement actuel.

 

Nous sommes à moins d’un an de la conférence Rio +20, qui aura lieu début juin 2012 à Rio de Janeiro, et pratiquement rien ne se passe. On ne dirait pas que nous nous trouvons face au défi incontournable d’inverser un processus de développement destructif de la base naturelle de la vie. Nos dirigeants sont plus préoccupés par la volatilisation du capital spéculatif en bourse et par la santé des banques, que par les crises multiples dans lesquelles l’humanité se noie : climatique, alimentaire, politique, des conditions de vie et des valeurs éthiques. Tout ceci parce que dans l’actuelle structure du pouvoir mondial, qui est contrôlée par les intérêts des grandes corporations économico-financières, par les pays développés et par les pays émergents, il n’existe pas un réel intérêt politique de changer ce qui peut mettre en danger le « business du développement ». Des citoyens et des citoyennes indignés s’insurgent contre tout cela aux quatre coins du monde, mais le lien entre eux n’a pas encore été fait, celui de l’articulation qui rassemble la diversité en un grand mouvement irréversible.

 

Nous nous trouvons face à une crise de la civilisation capitaliste industrielle elle-même, avec son productivisme et son consumérisme, dont le moteur est l’accumulation de richesse, toujours grandissante et sans limites. Nous ne pouvons pas oublier que cette civilisation, dont la richesse d’un peuple est mesurée par le « avoir toujours plus de biens », par le revenu per capita, par l’accumulation et par la croissance du PIB, a été faite par le bois et le feu, littéralement, au cours de ces derniers siècles de l’histoire humaine. Conquêtes et colonisations, avec l’esclavage de peuples entiers, la révolution industrielle basée sur l’utilisation intensive de l’énergie fossile et de la matière première, avec la destruction et la pollution environnementale pratiquement jusqu’au point de non-retour, ont généré la crise climatique, avec une extrême misère et une extrême richesse. Impérialismes et guerres, qui changent de mains et de territoires, se sont succédés dans la mesure de la nécessité, pour garantir la domination d’une telle civilisation, et ce jusqu’à aujourd’hui. Avec la globalisation capitaliste de ces dernières décennies, celle-ci est devenue une référence pour quasi toute l’humanité. Par le pire chemin nous créons les conditions pour l’émergence d’une communauté planétaire, interdépendante. Il nous ne reste plus qu’à transformer ce fait en rêve collectif, et la volonté en action, dans la diversité de ce que nous sommes.

 

Au milieu de toujours plus de déchets, entre abondance extrême et misère extrême, la civilisation capitaliste industrielle productiviste et consumériste exerce une énorme fascination, en conquérant les cœurs et les esprits presque sans frontières. Le fait est que l’économie et le pouvoir qui l’alimentent, tout comme le style de vie de cette civilisation, ont pour présupposés indispensables la domination, le racisme et la discrimination, le machisme et l’exclusion sociale, une destruction environnementale qui compromet la durabilité de la vie et de la planète.

 

Commence à surgir du cœur des sociétés civiles du monde entier, la conscience qu’on ne peut pas continuer ainsi. Nous avons besoin de changer maintenant ! Mais éthiquement, il n’est pas possible de sauver la planète et oublier l’humanité. Comment changer en conciliant le calendrier de la durabilité de la nature et de la vie avec la justice sociale ? Voici la grande question pour la citoyenneté et la démocratie, qui se pose du local où nous vivons jusqu’au monde entier, en nous reconnaissant comme une communauté citoyenne planétaire, avec des droits et des responsabilités partagés, communiant des valeurs de liberté et d’égalité, de solidarité et de participation démocratique, en valorisant notre diversité et interdépendance.

 

L’énorme espoir généré par l’Eco-92, la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement, n’a pas été capable de se transformer en contrepoids face à l’asservissante globalisation néolibérale qui a pris possession du monde dans les années 1990 et au début de ce siècle. Proportionnellement à la croissance des grandes entreprises, la dispute mondiale pour les ressources, la destruction et l’inégalité ont augmenté. L’objectif de la croissance du business à n’importe quel prix a été favorisé par la libéralisation, le dérèglement et la flexibilisation, avec le démantèlement de la capacité promotrice de droits et régulatrice des Etats elle-même. L’ONU est devenu une coquille vide et l’illégitime G-8 a grandi, sous la direction de l’unique pouvoir militaire impérial, les Etats Unis. Maintenant au cœur de la crise, est apparu le G20, un élargissement du club fermé du pourvoir mondial du G8, qui ne change pas l’essence de l’asymétrie du pouvoir et de la domination qu’elle favorise.

 

Le calendrier de la justice sociale a été relégué aux dits ODM – Objectifs de Développement du Millénaire -, huit points en rien ambitieux, où l’on décide de faire justice sans changer les causes de l’injustice. D’ailleurs, même cela n’est pas réalisé. Le manque de volonté de changer le mode d’organisation des sociétés, son économie et son pouvoir, est encore plus clair dans les négociations qui ont suivi les conventions signées en 1992. Avec beaucoup de difficultés, on est arrivé au protocole de Kyoto, sur les changements climatiques. Mais ce dernier n’est rien d’autre que le paiement pour le droit de continuer à polluer pour que d’autres, dans d’autres endroits du monde, assument l’engagement de capter le carbone, par les forêts qui tiennent encore debout. A Durban, en 2002, le business vert a gagné du terrain lors de la conférence, et l’espoir qu’il soit encore possible de désirer des changements plus radicaux s’est perdu. A nouveau, en 2009, à Copenhague, on a cru voir ressurgir l’espoir. Malgré la pression des rues, les dirigeants ne sont pas allés au-delà d’une déclaration de vagues promesses.

 

Ca n’est plus possible de continuer ainsi ! Les crises multiples et combinées, qui se sont répandues depuis le cœur des pays développés dominants et qui ont contaminé le monde entier, renforcent seulement la conviction des activistes pour un autre monde. Le paradigme industriel capitaliste, productiviste et consumériste est en train d’être rongé par ses propres contradictions. Ce n’est pas un simple remodelage de ce dernier qui va amorcer une autre voie.

 

Dans le cas de la conférence Rio+20, tout cela semble s’opérer en même temps. La crise fonctionne comme une excuse pour que les dirigeants ne s’engagent pas. Cette année, Obama s’est rendu au Brésil. Il est allé à Rio, il actionné son arsenal contre la Libye et a parlé de presque tout, même de la Coupe du Monde de Football de 2014 et des Olympiades de 2016, mais rien sur la Conférence tellement vitale pour l’humanité et la planète. En regardant de l’autre côté, qu’est-ce que les leaders européens sont en train d’entreprendre pour faire de Rio+20 quelque chose de marquant ? La crise de la zone Euro justifie le silence ? Et du Japon – des tremblements de terre, tsunamis et déversements nucléaires – peut-on espérer quelque chose ? Les « émergents » – nous, les Brésiliens, entre autres – avec leurs ambitions de croissance rapide, à tout prix, sont partie intégrante du problème et non pas de la solution. Et que faire si le propre président de la Conférence Rio+20 est un ambassadeur chinois de l’ONU ? La Conférence aura lieu au Brésil, mais dans notre calendrier nous avons la reprise des usines nucléaires, le pétrole du pré-sal, les grands barrages en Amazonie et, pour encore compliquer les choses, la flexibilisation du Code Forestier. Le cadre ne pouvait pas être plus décourageant.

 

Dans son contenu, vraiment peu voire rien, ne permet d’espérer quoi que ce soit de la conférence. Le sujet principal est l’économie verte, quelque chose de plus acceptable que de parler de durabilité qui, au moins, met en évidence la relation société / nature de manière plus générale. Qualifier de vert une économie dont la logique est d’accumuler les richesses avant et par-dessus tout, en continuant à marchandiser et à commercialiser la vie et la nature, en générant destruction et inégalités, même au nom de l’emploi, ne va pas au-delà de l’ouverture d’un nouveau front de négoces. Le sujet de la gouvernance, aussi à l’ordre du jour, n’est que leurre, puisqu’il s’agit de donner plus de pouvoir aux organismes de l’ONU pour la régulation du « business vert ».

 

Pour compléter le tout, le format n’est pas celui d’un sommet, mais d’une conférence de niveau ministériel, vidée de son sens par définition.

 

La citoyenneté planétaire naissante, dans sa diversité d’identités et de voix dissonantes, n’a rien à espérer de Rio+20. Nous devons croire en notre capacité d’instituants et constituants, appelés à débloquer des contractions et faire avancer l’histoire à certains moments. Je pense que nous sommes face à un grand défi et à une possibilité. Le défi est celui d’avoir l’audace de rêver les changements impossibles dont l’humanité et la planète ont besoin pour changer de paradigme. Le défi est aussi celui d’avoir le courage de faire des propositions vues comme impossibles et d’agir pour les rendre possibles. C’est de cette manière que s’est faite l’histoire humaine, avec ses chemins et ses contre-chemins.

 

La possibilité est celle de profiter du temps d’ici la Conférence Rio+20 et de sa réalisation pour inverser le jeu et créer l’espace vibrant de la citoyenneté mondiale par la durabilité de la vie et de la planète. Au lieu de réagir à ce qui se propose et se discute à la conférence officielle ou de faire des événements parallèles tout autour, faisons en sorte que l’événement principal soit celui de la citoyenneté, et qu’il revienne aux représentants de la conférence officielle de réagir à ce que nous proposons et demandons. Notre méthode est celle de la citoyenneté active, où le nombre de personnes mobilisées autour d’une cause se transforme en qualité politique et en forces transformatrices. Nous avons besoin d’occuper et d’élargir l’espace public, de politiser l’économie et la vie, de radicaliser les demandes en démocratisant la démocratie elle-même, cette fois-ci diverse, mais de dimensions et d’impact planétaires. La recette est simple : mobilisation, participation et pression, en croyant en la force de nos rêves et de nos idées, et en formulant des propositions osées.

 

Faisons de Rio+20 un moment d’indignation planétaire et de retournement citoyen. Nous avons besoin de faire valoir notre pouvoir de citoyen, avec son enracinement profond dans la diversité de ce que nous sommes et des situations que nous vivons, dans la force de nos idées, la richesse de nos expériences de construction du futur ici et maintenant, dans notre capacité à construire des réseaux et mobiliser, dans notre incidence politique. Comme dit le poète Geraldo Vandré, « Quand on sait, on fait de suite, on n’attend pas que les choses se passent ».