- InformationRio+20 offre l''opportunité de produire de nouvelles propositions pour concevoir et organiser la transition vers des sociétés durables. Cette rubrique tentera de les regrouper systématiquement au fur et à mesure de l''avancée du processus.
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19 février 2013
Pour un mouvement démocratique cosmopolitaire
Détails de la proposition
ContexteÉgalement disponible en English, Español
Avant propos : tirer les leçons de Rio+20
Le sommet de Rio+20 n’aura été ni un échec ni un succès. Il faut simplement le prendre pour ce qu’il a été et non pour ce que nous aurions rêvé qu’il fût. Observons-le comme un arrêt sur image dans le film des rapports de forces en présence, tant dans « le penser global », que dans « l’agir global », c’est-à-dire à l’échelle planétaire.
Rappelons tout d’abord que ce sommet de Rio n’était pas inscrit dans la stratégie internationale des puissances de ce monde. Les soucis et enjeux immédiats des États étaient en juin 2012 d’un tout autre ordre. Il faut en prendre acte. Le Sommet de Rio+20 répondait à la logique des programmes et agences de l’ONU, qui périodiquement font un point sur la situation mondiale, ici en matière d’environnement : après Stockholm en 1972 et Rio 1992, il fallait un sommet Rio+20 en 2012. Ni les États-Unis, ni l’Europe, ni les soi-disant pays « émergeants » réunis dans le G20 ne voulaient de ce sommet à ce moment précis; ils savaient bien, et ils en avaient déjà eu la preuve en décembre 2009 à Copenhague – que les conditions de négociations internationales (entre les États) n’étaient pas réunies pour aboutir au moindre accord.
Le monde attendra ; la catastrophe, ou le chaos, peut-être pas. Malgré cela, l’ONU a obtenu son sommet, et ce n’est déjà pas si mal. Le principal résultat : la mobilisation à l’échelle planétaire des sociétés civiles nationales et de la société civile transnationale, des opinions publiques, des milieux académiques, des fonctionnaires d’État et de ceux du monde onusien. Les effets secondaires : une immense frustration et le sentiment d’un jeu de dupe, d’un spectacle sans acteur. Et pourtant la conscience progresse : il aura fallu 40 ans pour que les constats et prévisions posés par une minorité d’écologistes (qui passaient pour risiblement catastrophistes à l’époque) soient aujourd’hui repris en cœur par l’immense majorité des médias et des politiques. Plus personne – ou presque – ne nie la brutale réalité du réchauffement climatique, la baisse extrêmement dommageable de la biodiversité et la non durabilité du système de production et de consommation à l’échelle planétaire. Mais le système est bloqué. Les acteurs rabâchent un texte qui n’opère plus, ni sur le plan de la pensée, ni sur celui de l’action. Sans parler de la vacuité du concept d’économie verte.
Et même si le momentum d’un basculement de paradigme pour sortir de la crise écologique et sociale n’a jamais été aussi proche, nul ne peut pourtant assurer aujourd’hui que nous ne le laisserons pas passer.
Pour sortir de l’impasse, c’est un double changement de perspective qu’il faut opérer : un changement dans le champ de la pensée et un changement dans le champ de l’action sociale et politique. Il nous faut donc entrer dans deux transitions simultanément, et relier entre elles ces deux transitions. Mon propos dans ce cahier pourra apparaître à certains, comme « utopiste » et trop ambitieux : c’est parce qu’il ne se résigne pas à penser le monde avec les concepts à disposition, et parce qu’il se place résolument à un niveau d’action sociale particulièrement élevé : celui universel et mondial de l’Humanité. J’ai en effet choisi l’option de placer ma théorie dans un temps suffisamment long pour comprendre au moins l’ère moderne, dans un espace géographique suffisamment étendu pour saisir l’ensemble de la planète et dans une sociologie suffisamment large pour prendre pour objet l’Humanité dans son universalité.
S’engager à répondre à la question du siècle
J’ai choisi de considérer l’Humanité comme un « sujet historique », qui peine à émerger, à un moment charnière de la modernité politique, où la démocratie, fragilisée du local au national, est inexistante au seul niveau où les enjeux cruciaux de l’Humanité se posent aujourd’hui : celui du système mondial. La crise écologique planétaire, et l’incapacité du système international des États à y répondre, démontrent que la « condition humaine » est aujourd’hui universelle ; plus qu’elle ne l’a jamais été auparavant. Elle pousse l’Humanité (qu’on a nommée « race humaine » ou « genre humain ») à se penser aujourd’hui en « communauté-monde », à se constituer en « société-monde » et, à la manière d’une « nation-monde », à défendre collectivement sa survie et son avenir.
L’Humanité peine déjà à se percevoir en communauté-monde, la conscience de partager un destin commun à l’échelle de la planète n’est encore pas assez largement partagée. De surcroît, seule la constitution d’une forme – quelle qu’elle soit – de pouvoir politique planétaire pourrait constituer une « société monde ». C’est la Constitution de la Confédération helvétique qui a forgé le sentiment d’être Suisse ; et c’est l’Union européenne qui construit aujourd’hui l’identité européenne. Le système international ou onusien contemporain, en revanche, fondé sur la diplomatie bi- ou multi-latérale, ni même le G8 ou le G20 s’avèrent inopérant pour constituter le minimum de structure institutionnelle permettant de mettre en œuvre une gouvernance mondiale.
Une gouvernance mondiale effective est pourtant indispensable aujourd’hui à la survie de l’Humanité sur terre, sans même parler ni des aspirations des êtres humains, à la liberté, à l’égalité et à la solidarité, ni encore moins de leur désir d’émancipation. Comment rendre opérante la gouvernance mondiale : voilà, à mon sens, « l’enjeu du siècle » à laquelle nous devons nous engager à répondre. Il y aurait urgence ; mais nous n’en avons pas encore les outils théoriques pour y répondre, ni a fortiori les forces sociales et politiques nécessaires pour instaurer les conditions de cette gouvernance.
Un nouveau paradigme de pensée pour un nouveau paradigme d’action
Lorsqu’on s’appuie sur une nouvelle théorie pour fonder une nouvelle stratégie d’action, la première difficulté à laquelle on se trouve confronté – et en même temps la plus grande – est que l’on est contraint de forger de nouveaux concepts, puisque ceux que l’on trouve dans la boîte à outils des idées sont soit si usagés qu’ils devraient être complètement reconstruits, soit complètement éculés ou obsolètes pour décrire, saisir et faire comprendre la nouvelle problématique : un nouveau paradigme de pensée et d’action nécessite donc de nouveaux concepts.
Ce cahier est une tentative de poser de nouveaux concepts sociologiques, en proposant quelques néologismes, dans l’objectif de répondre aux questions suivantes :
Première question : comment définir le monde actuel dans sa différence d’avec les mondes précédents ?
Dès son émergence il y cinq ou six siècles, la modernité a toujours été porteuse de mondialisation. Cependant, à la suite des deux guerres mondiales et de la guerre froide, l’Humanité a connu, dans les années 1990, une très forte accélération de la mondialisation, rendue notamment possible par la libération de nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’expansion formidable de la communication digitale a eu pour conséquence de renforcer, auprès de couches toujours plus importantes de la population mondiale, le sentiment d’appartenance à une communauté humaine unique (même très diversifiée) s’avançant vers la même destinée. Même s’il a été peu encore analysé et compris, ce phénomène marque une véritable rupture “épistémique” dans l’histoire de l’Humanité.
Parallèlement, si l’on peut observer que la première modernité permet l’expression d’un désir sans limite d’émancipation individuelle et collective, la seconde modernité, tout en reprenant également à son compte le désir d’émancipation, inscrit celui-ci dans les limites de la durabilité. J’appelle « moNdernité », le système mondial moderne dans sa structure formelle contemporaine, et « moNdernisation » le processus continu de mondialisation de la modernité, inhérent au système mondial moderne. La moNdernité et la moNdernisation constituent le système mondial qui correspond à la seconde modernité, qui inscrit notamment le désir d’émancipation individuelle et collectif dans les limites de la durabilité.
Deuxième question : comment définir la forme politique qui permettra la gouvernance mondiale ?
À l’instar des communautés ethniques ou nationales, la communauté mondiale, c’est-à-dire l’Humanité ayant la conscience de partager un destin commun à l’échelle de la planète, ne peut advenir comme sujet historique (sujet de sa propre histoire sur la planète) sans la constitution d’institutions politiques légitimes sur le plan planétaire ; et surtout d’une institution de ces institutions2, qui constituerait la clé de voûte de la moNdernité, en garantissant la cohérence de l’édifice politique mondial et en permettant que s’opère un contrôle sur sa gouvernance. J’appelle État mondial la forme de pouvoir politique planétaire qui permettra la mise en œuvre de la gouvernance mondiale.
L’idée d’un État mondial peut faire peur, si on imagine qu’il pourrait s’instituer un Léviathan totalitaire. Mais on peut également l’imaginer comme une Confédération minimale, reposant sur le principe de la subsidiarité active, ou une fédération de fédérations continentales, ou encore une organisation internationale de troisième type (après la SDN et l’ONU), dont les Organisations internationales et les agences spécialisées constitueraient autant de « ministères mondiaux ». Ou un mélange de ses formes d’organisation politique. Pourtant, à bien y réfléchir, c’est l’absence actuelle d’État mondial qui est effrayante, parce qu’aucune régulation systémique, a fortiori aucun contrôle démocratique n’est opposable aujourd’hui, ni aux dominations impérialistes, ni à l’exploitation économique sans borne des ressources et des populations par des multinationales et des maffias, ni à l’hégémonie culturelle de la société de consommation et du gaspillage, au niveau même où ces dominations, ces exploitations et ces hégémonies opèrent : le niveau mondial.
L’absence d’État mondial limite les mouvements sociaux à la « résistance », à un répertoire d’actions défensives ou réactives, sur les plans local ou national. Les mouvements sociaux ne peuvent ainsi n’exprimer que ce qui relève de leur « face d’ombre ».
Propositions et résumés
Table des matières
- Avant propos : tirer les leçons de Rio+20
- S’engager à répondre à la question du siècle
- Un nouveau paradigme de pensée pour un nouveau paradigme d’action
- Première question : comment définir le monde actuel dans sa différence d’avec les mondes précédents?
- Deuxième question : comment définir la forme politique qui permettra la gouvernance mondiale?
- Troisième question : comment définir le mouvement qui permettrait un contrôle démocratique de la gouvernance mondiale ?
- Vers un mouvement cosmopolitaire pour construire un système politique mondial
- Partie 1. Analyse
- Introduction :Dans la transition entre modernisation et moNdernisation
- Les contours du mouvement démocratique cosmopolitaire
- L’émergence d’un nouveau mouvement social
- Mondialisation & Anti-mondialisation
- Mondialisation & Altermondialisation
- Mondialisation et démocratisation : mobilisations globales – manifestations locales
- Mondialisation des mobilisations sociales
- Un enjeu post-guerre froide : la mondialisation de la démocratie
- De la fragmentation des luttes à leur mise en réseau
- Une explosion des champs et des formes de lutte
- La multiplication des organisations du mouvement social
- Des mobilisations plus éphémères
- Homogénéisation idéologique et coordination des mouvements
- Rénovation de la gauche et démocratisation des luttes
- Vers la démocratisation permanente
- Homogénéisation du discours et coordination des stratégies à travers les réseaux transnationaux d’ONG
- De l’Anti- à l’Alter-mondialisation
- Le Zapatisme comme exemple
- La Gouvernance mondiale : forme démocratique de l’État mondial
- Une gouvernance mondiale démocratique n’est pas possible sans un État mondial (État de droit) ni un gouvernement mondial (qui pilote les politiques publiques)
- Partie 2. P ropositions
- Premier constat de niveau global / planétaire de la gouvernance est un impensé du « politique »
- A. Consolider et diffuser le concept de « mouvement cosmopolitaire » : le mouvement pour une gouvernance mondiale
- Définir les contours d’un mouvement démocratique cosmopolitaire
- Deuxième constat
- Le mouvement démocratique cosmopolitaire (mouvement pour la gouvernance mondiale) n’existe pas encore : les organisations et les individus qui le composent n’en ont pas pleine conscience
- Troisième constat
- La société civile transnationale s’est constituée sur une base sectorielle / thématique : cela ne suffit pas à répondre aux enjeux systémiques et globaux contemporains
- A. Repérer les réseaux d’acteurs constitués sur une base sectorielle / thématique et travailler avec eux sur la Gouvernance mondiale globale
- Travailler sur les domaines qui forment l’ossature de l’État mondial en gestation, cest-à-dire qui institutionnalisent déjà une Gouvernance mondiale démocratique : le droit international et les organisations onusiennes et multilatérales (BIT, OMC, etc.)
- Conclusions
Régions
Monde
Documents joints