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- Sujets politiques, architecture du pouvoir et démocratie
12 juillet 2011
Propositions pour une nouvelle gouvernance mondiale
Également disponible en English, Español, Português
I – Introduction
Dynamiques d’évolution et d’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale
- Une question éternelle aujourd’hui nouvellement posée
- La mondialisation requiert une architecture qui intègre mais dépasse les États-Nations
- L’urgence et la complexité des problèmes est globalement en décalage avec nos modes de gouvernance
- Poussées et freins à l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale
- Un premier pas incontournable : de quelle société mondiale voulons-nous ?
II – Propositions pour une nouvelle gouvernance mondiale
- Organiser de forums multi-acteurs articulés par filières, clé de voûte d’une gouvernance mondiale efficace
- Constituer des ensembles géopolitiques à l’échelle régionale
- Élaborer un Indice de gouvernance mondiale
- Instituer un Tribunal international de l’environnement
- Constituer une force armée mondiale, basée sur le volontariat, indépendante des États, régie par le droit international
- Promouvoir à l’échelle locale de réseaux industriels et de services, articulés aux niveaux régionaux et transnationaux par à un système de monnaies régionales
Une question éternelle aujourd’hui nouvellement posée
Comment s’organiser? Comment s’organiser de manière juste et durable ? Comment gouverner de manière efficace? Telles sont les questions, simples au départ, qui taraudent philosophes, juristes et théologiens depuis l’Antiquité. Telles sont les questions que tentent de résoudre peuples et responsables politiques, les seconds ayant souvent eu, il est vrai, des réponses différentes des premiers. Qu’il s’agisse de la Grèce antique, de la grande Perse, de l’Inde, de la Chine unifiée, ou des empires aztèques et incas, pour ne citer qu’eux, la recherche de la meilleure organisation politique constitua, constitue, la base de toute réflexion sur la gouvernance, et à fortiori sur la bonne gouvernance.
Pour autant, le vaste corpus qui s’est attaché à répondre à cette problématique qui définit l’essence même de l’humanité s’est confiné pour l’essentiel à l’organisation de sociétés fermées et pour la plupart, homogènes. Fermées de par leurs frontières et les limites de leurs appareils d’Etat ; homogènes, puisqu’une culture dominante régissait la plupart du temps les sociétés, y compris les sociétés pluriculturelles (comme l’Empire Ottoman ou l’Empire Inca). Cette culture dominante, qui fut longtemps celle du Prince, est aujourd’hui celle de la majorité dans les sociétés démocratiques modernes. Longtemps considérée, à tort ou à raison, comme un facteur de conflit, l’hétérogénéité culturelle ou religieuse fut d’ailleurs de manière significative la cible principale des architectes du premier ordre transnational de l’histoire, celui de Westphalie, qui fixa comme première règle que la religion du Prince soit celle de son peuple.
La philosophie politique s’est presque systématiquement fixée une limite spatiale, celle de la cité, du royaume, de l’empire, de la république ou, plus récemment, de la nation ; les seules exceptions à la règle – il en faut !-, comme la monarchie universelle de Dante ou la république omnipotente de Hobbes, étant de facto des super États dont les concepteurs ne faisaient que transmuter à l’échelle planétaire l’architecture de la cité. La période, qui s’étendit de la moitié du 17e siècle jusqu’à la fin du vingtième, et qui marqua la fin des empires, concomitante à l’émergence puis l’avènement de l’État nation, ne fit que renforcer ce sentiment que l’espace de la gouvernance est essentiellement celui de l’État nation.
En 1648, une vaste cohorte de diplomates et de juristes mettait fin à l’un des conflits les plus abjects de l’histoire et instaurait une nouvelle gouvernance pour l’Europe. Depuis lors, le code de conduite des nations fut peu ou prou celui de l’ordre westphalien. Aujourd’hui, cet ordre est mort. Il est désormais est impératif d’en faire son deuil et d’en inventer un nouveau. Mais pour cela, il est vital de bien comprendre ce que fut cet ordre westphalien dont l’esprit peut nous guider encore aujourd’hui.
La paix de Westphalie fut d’abord l’une des plus belles réussites de l’histoire en terme de résolution de conflit puisqu’elle mit un terme aux guerres de religions qui empoisonnaient l’Europe depuis plus d’un siècle. Mais la paix de Westphalie accomplit beaucoup plus encore que cela : elle mit fin aux tentatives d’hégémonie impériale et facilita l’émergence de l’État-nation moderne ; elle mit un terme à l’ingérence de l’église dans les affaires d’État ; elle instaura un code de conduite des États à travers l’établissement d’un droit international qui n’a cessé depuis de prendre de l’ampleur ; ce faisant, elle a posé des limites à la violence organisée en définissant la légitimité de l’emploi de la force et en régulant la pratique de la guerre ; elle mit au coeur des relations interétatiques la problématique des droits de l’homme en imposant le principe de souveraineté nationale et de non-ingérence dans les affaires internes des pays ; elle protégea tant que faire se peut l’intégrité des petits Etats par rapport aux appétits des grands; elle proposa un système de contre-pouvoirs censé empêché les tentatives d’hégémonie des États les plus ambitieux.
Si le système westphalien se délita à partir de la fin du 18e siècle jusqu’à agoniser au 20e et 21e, ce fut avant tout parce que ce système était désigné pour l’Europe et non pour le monde, pour des monarchies et non des républiques, pour un système géopolitique et culturel hétérogène. Néanmoins, l’esprit de l’ordre westphalien nous éclaire encore aujourd’hui dans notre quête d’une nouvelle gouvernance mondiale : le cheminement du droit international, la défense des droits de l’homme, la limitation de la violence et la régulation de l’usage de la force, la recherche d’une paix durable, l’établissement de contre-pouvoirs restent les fondements de la gouvernance au 21e siècle. Mais de la même manière que le monde du 17e siècle était en dynamique de rupture et nécessitait une révolution politique, celui du 21e siècle, avec la mondialisation, la menace à l’environnement et le problème des inégalités et de la sustainabilité doit impérativement et rapidement changer. Aujourd’hui, la gouvernance est planétaire, le système monde est hétérogène et divers. L’État-nation, qui naguère pouvait tout régler ou presque, doit faire appel à d’autres acteurs avec d’autres compétences. De nouveaux contre-pouvoirs doivent être établis, y compris pour éviter les abus de nouvelles sources de puissance. La défense des droits de l’homme doit se conjuguer autrement, notamment pour ce qui concerne la problématique de l’ingérence et du respect des souverainetés nationales. En somme, la mort du système westphalien doit nous inciter à la réflexion : l’établissement d’une nouvelle gouvernance mondiale gagnera à s’inspirer de l’esprit westphalien, tout en se débarrassant d’un héritage parfois lourd qui, aujourd’hui, encore, nous empêche d’aller de l’avant.
La mondialisation requiert une architecture qui intègre mais dépasse les États-Nations
Paradoxalement, le moment qui coïncida avec la chute du dernier empire, l’Union soviétique, fut aussi celui qui vit l’émergence de l’idée, et même de la nécessité, d’élaborer une gouvernance trans-nationale, une « gouvernance mondiale ». Certes, la problématique de la guerre et de la paix avait depuis toujours généré une réflexion sur les relations entre entités politiques, qu’on désigne communément sous l’appellation de « relations internationales », mais pour l’essentiel, cette réflexion s’était focalisée autour de l’État. La première tentative de dépassement des méthodes classiques de gestions de relations internationales s’est d’ailleurs construite autour de l’État : la Société des Nations et sa fille, l’Organisation des Nations Unies, constituèrent, et continue de le faire dans le cas de l’ONU, une association d’États, d’où les limites inhérentes à leur structure de base. Les G8 et G20, dont l’architecture originelle remonte aux années 1970, sont aussi structurés sur une base étatique, avec une architecture plus simple que celle de la SDN ou de l’ONU, et, bien que plus récente, plus archaïque dans sa philosophie puisque de la semi-démocratie de l’ONU, les G8/G20 reprennent plutôt le modèle politique de l’aristocratie.
Or, la grande révolution du moment, et s’en est une, s’articule autour de deux événements simultanés et liés d’une certaine manière l’un avec l’autre. Le premier événement est celui de la mondialisation. La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau mais elle a atteint à la fin du 20e siècle un seuil critique où les divers phénomènes qui définissent et découlent de cette mondialisation ont complètement dépassé les compétences et les capacités des États, d’autant que ces derniers fonctionnent toujours, y compris au sein de l’Union européenne, selon le principe dit de l’« intérêt national ».
Le second phénomène est la prise de conscience, qui a trouvé une première formulation dans les années cinquante avec la menace d’un cataclysme nucléaire, puis dans les années quatre-vingt avec les premiers indices sur la détérioration rapide et inquiétante de l’environnement, que l’industrialisation des deux dernières siècles et tous les excès qui l’ont accompagnée, ont aboutit à une étape critique de l’histoire où l’être humain est non seulement susceptible de s’autodétruire en tant qu’espèce mais qu’il est également susceptible de détruire sa planète.
L’urgence et la complexité des problèmes est globalement en décalage avec nos modes de gouvernance
Il découle de la mondialisation et de cette prise de conscience d’une réalité brutale que, d’une part, nous sommes confrontés à des problèmes entièrement nouveaux et d’une complexité et d’une urgence extrêmes (migrations, crises financières, dérèglements écologiques, etc.) , et d’autre part, que nous ne disposons pas des modes de gouvernance adaptés à la résolution de ces problèmes. Le sommet de Rio en 1992, et les sommets qui ont suivis, ont d’une certaine façon bien répondu à la première composante en posant les termes de la problématique et en alertant l’humanité à l’urgence de ces problèmes, tout en les identifiant de manière systématique et précise.
En revanche, les avancées sur le plan de la gouvernance ont été jusqu’à présent extrêmement décevantes, le sommet de Copenhague de 2009 illustrant de manière criante combien est long le chemin qui nous reste à parcourir dans ce domaine et combien est nécessaire l’élaboration de schémas pour une gouvernance mondiale effective et efficace.
Du reste, il ne faut pas baisser les bras, bien au contraire, et la tenue d’une grande rencontre vingt ans après le premier sommet de la terre devrait offrir une belle opportunité d’aborder en profondeur et sans détour la problématique de la gouvernance mondiale, car celle-ci est véritablement au cœur de l’avenir de l’humanité et de la planète. Si nous devons tirer une leçon des 20 dernières années, c’est qu’en l’état des choses, nous ne disposons pas des structures adéquates pour aborder et résoudre tous ces problèmes qui convergent aujourd’hui et face auxquels nous sommes finalement totalement impuissants si ce n’est désemparé. Les États, à commencer par les grandes puissances et les puissances émergentes et les Nations Unies, sont bien évidement des parties prenantes incontournables et importantes dans l’élaboration de ces nouveaux schémas. Mais ils constituent aussi d’une certaine manière une force d’inertie qu’il faudra impérativement compenser et dépasser.
Comment aborder ce problème de gouvernance mondiale ? Celui-ci est, à la base, le même que pour toute la philosophie politique avec ces deux questions : comment préserver ce qui doit l’être ? Comment changer ce qui doit être changé dans nos modes de gouvernance ? Toujours dans la perspective d’un progrès de l’action politique qui suit et même anticipe l’évolution historique.
L’évolution du monde au cours des dernières décennies rend caduque une pratique des relations internationales fondée sur les intérêts nationaux et les rapports de forces que le système onusien a certes atténuée mais sans pour autant en avoir changé les fondements.
Globalement, la pratique des relations internationales est amorale : elle suit les intérêts des pays les plus puissants, parfois au détriment de l’intérêt général ou de ceux, plus faibles, qui entravent leur chemin. S’il arrive parfois que tous les intérêts coïncident, il s’agit là plutôt des fruits du hasard que d’une volonté concertée d’agir pour le bien du plus grand nombre. Le ré-ordonnancement du monde géopolitique avec l’arrivée de puissances émergentes modifie le statu quo mais sans changer la conduite des États.
Poussées et freins à l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, avec la création de l’Organisation des Nations Unies, la conception westphalienne de l’État – par rapport au plan interne l’unique avec le monopole légitime de la force, et par rapport au plan externe un acteur unitaire, rationnel et souverain – est fortement remis en cause. Les deux principaux arguments sont la demande de plus de représentativité des acteurs non étatiques dans le système international et aussi la prise de conscience progressive sur l’impossibilité de séparer le thème de l’environnement entre les sphères de politique intérieure et extérieure.
Cette indéniable interdépendance entre les États sur plusieurs thèmes – par exemple l’économie, l’environnement et les questions sanitaires – et la suprématie du principe d’intérêt général collectif demandent non seulement une coopération plus approfondie dans le système international mais aussi la reconnaissance du rôle majeur de la solidarité internationale et des ses acteurs lors des procédures décisionnelles.
Malgré la facilitation pour adopter des accords ainsi que la capacité nourrir la coopération permise par la mise en place des organisations internationales, on constate un décalage démesuré entre ces organisations et les défis auxquels l’humanité fait face.
En ce qui concerne la société civile, des années d’engagement et de mobilisations dans la lutte contre les inégalités sociales, contre le changement climatique et l’érosion de la diversité biologique ainsi que des demandes pour une plus juste redistribution des richesses ont permis des réels avancés en matière de développement. Néanmoins, la situation dans laquelle se trouve notre planète et la majorité de la population mondiale demeure très précaire : des famines, manque d’accès aux services essentiels, non-respect aux Droits de l’Homme, dévastation des écosystèmes…
Cette situation dégradante n’a fait que s’empirer suite à l’éclatement de la crise financière en 2008. Un gigantesque détournement des finances publiques fait pour sauver des institutions financières et dans une moindre mesure des investissements en vue de la relance économique mondiale ont été mis en place sans aucune analyse préalable de réelles causes de la crise : la conception du système en elle-même.
En outre, le droit de la concurrence qui s’impose pour les activités économiques devient la règle d’arbitrage pour les questions internationales. A l’heure actuelle, l’Organisation Mondiale du Commerce est l’unique organisation internationale dotée d’un système de règlement de différends contraignant. Ce qui l’amène à prendre de décisions dans d’autres domaines que le commerce. L’inexistence ou encore l’impuissance des instances d’arbitrage fait que cet organe de l’OMC établisse une jurisprudence qui définit les règles internationales sans négociations préalables ainsi que donne au commerce une place prépondérante dans le droit international.
La plus grande reconnaissance du rôle majeur des acteurs non-étatiques a posé de nouveau, et plus fortement, la question de la transparence et de la démocratisation des organisations internationales. Les acteurs de la société civile, dans plusieurs reprises sont également les acteurs opérationnels des actions de la coopération internationale, participent à la marge des procédures décisionnelles de ces organisations. Au-delà de ne pas avoir d’attachement aux intérêts nationaux et pouvoir donc défendre plus légitiment les questions transfrontalières, la société civile portera une « expertise du terrain » aux négociations.
Même si les questions de développement demeurent crucial, on constante qu’à l’heure actuelle il n’y a pas d’arène de négociation international pour cette thématique. Le Conseil Économique et Social (ECOSOC) n’arrive pas à jouer son rôle de coordinateur des activités onusiennes en matière de développement. De la même façon que la Commission du Développement Durable ne réussi pas à assurer une cohérence entre les diverses dimensions économiques, sociales et politiques du développement durable.
Un premier pas incontournable : de quelle société mondiale voulons-nous ?
C’est pour quoi l’élaboration d’un système inédit de gouvernance mondiale doit aller plus loin et poser la question de la recherche d’une société mondiale juste et responsable. Mais comment définir «le bien» ; comment définir la bonne société (mondiale) ? Cette dimension éthique et culturelle est vitale. C’est en explorant ses capacités et ses limites que nous apprendront à gérer nos différences. C’est en posant les soubassements éthiques d’une gouvernance mondiale que nous pourrons répondre à cette question fondamentale : est-ce que l’autre est l’altérité ou est-ce une partie de nous mêmes? En termes pratiques, la grande question éthique et culturelle qui doit être résolue avant que ne soit entreprise la construction d’une authentique gouvernance mondiale est celle-ci : comment reconstruire l’universel à partir des civilisations. Ce n’est qu’en abordant sans restriction ces questions difficiles mais passionnantes que nous pourrons véritablement aller de l’avant. Rio +20 nous en donne l’opportunité.
Aujourd’hui, alors que les effets de la mondialisation et de la menace à l’environnement dépassent le cadre des politiques nationales, il est impératif de redéfinir les règles de conduite des États. Pour cela, il est nécessaire de poser les bases éthiques d’une pratique des relations internationales qui défend les intérêts généraux (de tous) et collectifs (avec la participation de tous) plutôt que les intérêts nationaux.
Dans les faits, la « moralisation » des relations internationales se traduit par une mise en œuvre qui prône le multilatéralisme plutôt que l’unilatéralisme, la coopération plutôt que la coercition, la défense des droits de l’homme et la réduction des inégalités plutôt que la recherche du profit et la ponction des ressources naturelles des pays les plus pauvres.
Une telle transformation entraîne une révision des principes de gouvernance mondiale. Pour prendre un exemple, le système dont nous avons hérité pose comme principe de base le respect des souverainetés nationales et la non-ingérence dans les affaires internes d’un pays. Or, ce principe est-il toujours valide ou souhaitable? Deux exemples récents, celui du Japon et de la Libye nous interpellent à ce sujet mais sans qu’on ait véritablement cherché à redéfinir les règles du jeu. Plus généralement, il faut désormais établir de nouveaux principes à partir de notions qui, jusqu’à présent, étaient quasiment absentes des relations internationales : la responsabilité collective, l’équité, la solidarité.
En résumé, ces nouveaux principes de gouvernance doivent transcender les frontières nationales en responsabilisant les États dans leurs obligations individuelles et collectives envers l’intérêt général, celui de la planète et de leurs habitants. Ces principes posent de nouvelles contraintes en matière de légitimité de l’action collective, de compétence , d’exercice de la citoyenneté conforme au respect des droits de l’homme, de résolution des tensions entre le local, le national, le global.
II. Propositions pour une nouvelle gouvernance mondiale
Le défi est d’élaborer une architecture de la gouvernance qui s’adapte aux données du moment et se pose pour principe de répondre aux problèmes auxquels nous faisons face à l’heure actuelle. Il s’agit d’établir les bases d’une nouvelle gouvernance mondiale à partir de ces problèmes, avec des mécanismes et des institutions dévoués à les résoudre. Nous avons vu que, d’une part, depuis plus de vingt ans, nous avons su identifier ces problèmes. Que, d’autre part, les institutions et les mécanismes en place sont non seulement inadaptés mais, beaucoup plus grave, qu’ils sont incapables de s’adapter, du moins suffisamment et suffisamment vite.
A partir de là, comment avancer? Une première entrée concerne les acteurs. Il est évident que d’autres acteurs, en dehors des États, sont parties prenantes dans l’élaboration d’une nouvelle architecture qui prenne en compte l’économie mondialisée. Ces acteurs, de la société civile notamment, ainsi que des entreprises respectueuses de l’environnement et des droits des travailleurs, sont dorénavant incontournables. Plus vite prendront-ils part à la mise en œuvre d’une gouvernance mondiale, plus vite aura-t-elle l’opportunité de voir le jour.
→ Proposition : Organiser de forums multi-acteurs articulés par filières, clé de voûte d’une gouvernance mondiale efficace
Les Forums Multi-Stakeholders, regroupant l’ensemble d’acteurs d’une filière ou d’un domaine, représentent une innovation prometteuse. L’avantage de penser à cette structure est qu’elle permet de dépasser le cadre purement territorial. Elle renforce l’assise territoriale des acteurs, travailleurs, chefs d’entreprises, responsables de collectivités locales, mais en se positionnant dans le cadre global de la filière, elle traverse les territoires car elle met en avant les acteurs où ils se trouvent, depuis la localité jusqu’au réseau mondial. Cette double articulation territoire/forum multi-stakeholders peut constituer une véritable clé de voûte de la nouvelle architecture d’une gouvernance mondiale efficace.
La question des ensembles «géo-politiques » de la gouvernance mondiale est une deuxième entrée. Dans ce domaine, il semble logique que les grands ensembles régionaux ou « pluri-continentaux » soient les principaux éléments de cette nouvelle construction qu’est la gouvernance mondiale.
→ Proposition : Constituer des ensembles géopolitiques à l’échelle régionale
L’un des traits essentiels qui marque déjà la nouvelle architecture de la gouvernance mondiale est une reconfiguration des territoires a l’échelle régionale, sous-continentale. Elle remet en question les frontières, mais il ne faut pas demander la suppression des frontières, les mentalités ne sont pas encore prêtes à cela. Cependant, on voit déjà nettement la circulation des flux humains, économiques, commerciaux et technologiques, etc. qui dépassent les frontières. Il est difficile de généraliser les traits spécifiques de ces processus car ils sont variés. L’Union Européenne, l’UNASUR en Amérique du Sud, l’ASEAN en Asie, l’Union Africaine, sont des ensembles de dimensions économique et politique diverses, mais on sait bien maintenant que les nouveaux ensembles régionaux sont plus flexibles, s’adaptent plus à la configuration de marchés et des alliances politiques ou diplomatiques. La reconfiguration transnationale des territoires correspond, par ailleurs, mieux aux nouvelles matrices énergétiques renouvelables où l’essentiel est l’articulation entre plusieurs sources qui demandent un système intégré d’approvisionnement d’énergie éolienne, photovoltaïque, solaire thermique, marémotrice, biomasse, etc. où « le territoire énergétique », pour l’appeler ainsi, déborde largement les frontières. La clé sera de trouver d’autres mécanismes, sans passer seulement par les états, mais sans les ignorer non plus, pour renforcer ces nouveaux territoires économiques, politiques, culturels, écologiques.
Le concept d’indicateurs ou d’indices est très controversé. C’est un fait, les indicateurs, y compris ceux développés par le FMI et la Banque mondiale, sont exploités à des fins souvent discutables. Sans même parler de la manière dont les indices sont utilisés, leur conception et leur réalisation doivent être sujettes à beaucoup de prudence. Malgré les nombreuses failles qui accompagnent les batteries d’indicateurs de toutes catégories, les indicateurs peuvent être utilisés à bon escient.
→ Proposition : Élaborer un Indice de gouvernance mondiale
Des initiatives pour de nouveaux indicateurs de la richesse, de la production, de développement durable ont déjà été entreprises. C’est dans cette optique qu’il faut développer des indicateurs sur la gouvernance mondiale. Il s’agit d’une tâche qui nécessitera encore beaucoup de travail et de réflexion, notamment pour développer des indicateurs transnationaux qui dépassent les données nationales, pratiquement les seules disponibles à l’heure actuelle. A terme, l’Indice de gouvernance mondiale (IGM) pourrait devenir un standard incontournable dans ce domaine.
Il est nécessaire de développer les règles internationales existantes, voire même d’établir des règles supranationales, aussi bien pour définir de manière légitime un ordre climatique et les normes permettant d’en assurer la permanence que pour réguler les différentes situations conflictuelles qui découlent de la disposition de ressources limitées, que ce soit en matière d’énergie, d’eau ou de terres fertiles.
→ Proposition : Instituer un Tribunal international de l’environnement
La nécessité d’imposer des contraintes qui soient acceptées et respectées par les parties en cause impose de construire des normes de droit qui apparaissent comme légitimes et soient donc acceptées comme telles. Si les États nationaux réussissent à se mettre d’accord sur de nouvelles règles instituant des obligations pesant sur toutes les nations et les firmes de la planète, par exemple en matière d’émission de gaz à effet de serre, de pollution ou de consommation énergétique, il resterait à faire exécuter ce droit mondial. Pour cela, des organes de surveillance doivent être mis en place pour observer qui exécute et qui n’exécute pas ces règles. Plus encore, des organismes supranationaux de police et de justice doivent être en mesure de sanctionner les États ou les firmes, nationales et transnationales, qui se dispensent de suivre ces règles de droit mondial.
Une force armée mondiale capable d’empêcher les guerres en cours et les nouvelles guerres qui grondent non seulement au Moyen Orient, en Asie, en Afrique mais dans tous les continents est devenue une nécessite historique urgente. Cette nécessité est ressentie surtout par les peuples qui subissent les conflits meurtriers mais également par toute la « communauté mondiale » qui a besoin de cette force pour éviter les guerres et, on ne sait jamais, sa propre autodestruction (par exemple, si la puissance nucléaire se déchaîne en force).
→ Proposition : Constituer une force armée mondiale, basée sur le volontariat, indépendante des États, régie par le droit international en vigueur
Le problème est que l’on n’a pas (encore ?) construit une communauté mondiale. Nous avons dit que l’ONU ne la représente pas complètement. Comment fait-on ? Sous quelle autorité placer cette armée mondiale ? Il est évident que la placer sous le commandement de l’OTAN serait « inapproprié » pour ne pas dire autre chose. La question de la construction de la communauté mondiale s’articule alors avec la reconfiguration des territoires à l’échelle régionale et continentale. On devrait arriver à une nouvelle articulation des territoires, sans trop les figer et sans les faire dépendre seulement des États. Mais cette armée mondiale ne doit pas être éparpillée dans les territoires. On voit bien là « la distance » qui nous sépare d’une architecture soutenable de la gouvernance mondiale. Dans tous les cas, proposer une force armée mondiale, basée sur le volontariat, indépendante des États, régie par le droit international (lequel existe bel et bien déjà) nous fait pousser la réflexion parce qu’elle nous oblige à penser « la charpente » qui tiendrait et protégerait la nouvelle architecture de la gouvernance mondiale d’un monde plus sûr et plus pacifique.
La problématique de l’écologie, celle de l’économie, y compris l’économie verte, celle des inégalités sociales, surtout l’extrême pauvreté, constituent autant d’entrées qui permettraient, individuellement ou collectivement, d’établir une feuille de route permettant de poser les premiers jalons d’une gouvernance mondiale dont la première exigence serait de protéger l’environnement et réduire les inégalités.
→ Proposition : Promouvoir à l’échelle locale de réseaux industriels et de services, articulés aux niveaux régionaux et transnationaux par un système de monnaies régionales correspondant aux différent types de biens
(Les biens) qui s’épuisent en étant consommés, ceux qui sont en quantité finie, ceux qui se divisent en se partageant mais sont en quantité indéterminée, ceux qui se multiplient par l’échange). Mettre tous les biens dans le seul panier du marché capitaliste est un erreur monumentale de l’idéologie néolibérale et la nouvelle économie qui émerge doit mettre en œuvre non seulement un système de production et de consommation nouveaux, mais également un système d’échange basé sur d’autres valeurs que la quête du profit, telles que la solidarité, la responsabilité, la dignité, le « bien être ».
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