Iniciativas
Rio+20 Appel des Juristes et des Associations Rio+20: les juristes de l’environnement lancent un appel et des recommandations

 

Article de Agnès Sinaï, publié sur Actu-environnement.com, suivi du texte d’initiative des juristes du CIDCE. 

 

Ils étaient déjà là en 1992, ces veilleurs du droit de l’environnement. A Rio, ils avaient inspiré la Déclaration et l’Agenda 21 et participé à la rédaction de la convention sur la diversité biologique. Sous l’égide du Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE), ils se sont retrouvés en septembre dernier afin d’élaborer un ensemble de 26 recommandations, qui forment un corpus particulièrement riche. Ces recommandations ont été déposées sur le bureau du secrétariat de la conférence au siège des Nations unies à New York le 1er novembre.

 

Parallèlement, les juristes ont lancé le 1er octobre un Appel, à l’adresse des Nations unies, qui a d’ores et déjà rassemblé un millier de signatures. Quatre grandes thématiques structurent le texte, parmi lesquelles une exhortation aux Etats à marquer l’importance du sommet de Rio par des signaux forts, notamment la présence des chefs d’Etat. Le principe de non régression, cher au professeur Michel Prieur, juriste de l’environnement et coordinateur de l’Appel, est une idée nouvelle, qui devrait s’ajouter aux autres grands principes de Rio – prévention, précaution, information, participation : « Qu’en matière d’environnement, on ne revienne pas en arrière, cela fait partie des garanties fondamentales, pour empêcher la tendance qui se développe un peu partout de reculer. On observe dans les négociations climatiques, tout comme dans le Grenelle de l’environnement, des régressions insidieuses », commente le professeur Prieur.

 

Principe de non régression

 

Ce principe a des chances de se retrouver dans la déclaration de Rio+20. La résolution du 29/9/2011 du Parlement européen le reprend pour la première fois. Le Brésil, pays hôte de la conférence, a repris le principe de non régression dans son texte soumis au secrétariat le 1er novembre. Autant de signaux encourageants aux yeux du Professeur Prieur. Même si certaines voix au Parlement européen ont fait depuis lors connaître leur déception, comme celle de l’eurodéputée Europe Ecologie – Les Verts Sandrine Bélier pour qui « le Conseil européen, en ignorant totalement la résolution ambitieuse, volontaire et responsable du Parlement Européen, commet un déni démocratique et insulte la représentation de l’ensemble des citoyens européens ».

 

Autres thèmes de l’Appel des juristes : la mise en œuvre d’une véritable gouvernance environnementale, avec l’institution d’une Organisation mondiale de l’environnement (OME), et d’une Cour mondiale de l’environnement, cette utopie juridictionnelle tant réclamée par les ONG environnementales. « Dans le domaine de la gouvernance aussi les choses avancent, au risque de cacher le substantiel. Quoiqu’il en soit, il est bon de donner une place plus grande à l’environnement à l’ONU via l’OME et le Conseil économique et social, ce qui suppose pour ce dernier de modifier la Charte de Nations unies. Ce serait la conséquence logique de Rio 1992″, commente Michel Prieur.

 

Encadrer l’économie verte

 

Le texte insiste aussi sur la nécessité de renforcer l’indépendance des organisations internationales, en l’occurrence celle de l’Organisation mondiale de la santé. Enfin, l’Appel plaide pour une batterie de nouveaux instruments conventionnels pour l’environnement, et la promotion d’une économie fondée sur la responsabilité environnementale.

 

Si l’économie verte semble être le maître mot de Rio+20, il faudrait qu’elle soit l’opportunité de raviver la Responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Pour Michel Prieur, il faudrait « passer petit à petit de systèmes volontaires à une prise en compte plus globale. Mais il n’y aura pas de convention internationale sur la RSE pour autant. Et malheureusement, les grandes entreprises ont décliné l’invitation du CIDCE à participer aux travaux des juristes… On est assez pessimistes sur l’engagement des entreprises, qui s’étaient pourtant beaucoup mises en avant à Johannesburg ».

 

Plus faisable serait de manifester un intérêt pour les évaluations environnementales et les études d’impact, qui ne font pas l’objet de convention universelle. Ce serait dans la suite du constat de la Cour internationale de justice sur les papeteries du fleuve Uruguay, qui a constaté « qu’il existe, en droit international général, une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière, et en particulier sur une ressource partagée ».

 

À l’heure actuelle, les dispositions nationales et internationales sur les évaluations environnementales ne s’appliquent pas généralement aux espaces situés au-delà des juridictions nationales. « Il est urgent de mettre en place des instruments juridiques qui comblent cette lacune pour renforcer la protection environnementale des espaces communs de la Planète », souligne une des 26 recommandations.

 

Un statut pour les déplacés environnementaux

 

Autre point important que le professeur Prieur et l’ensemble du CIDCE plaident pour voir inscrit à l’agenda de Rio : les relations entre droits de l’homme et réfugiés écologiques, et en particulier le statut juridique des réfugiés environnementaux. Les recommandations plaident pour l’adoption d’un nouvelle Convention internationale sur les déplacés environnementaux permettant une définition harmonisée et l’adoption de 11 droits communs aux déplacés environnementaux intra et inter-étatiques : « Droit d’être secouru, Droit à l’eau et à une aide alimentaire de subsistance, Droit aux soins, Droit à la personnalité juridique, Droits civils et politiques, Droit à l’habitat, Droit au retour, Droit au respect de l’unité familiale, Droit de gagner sa vie par le travail, Droit à l’éducation et à la formation, Droit au maintien des spécificités culturelles) « , stipule la recommandation. « Mais cela n’a pas l’air d’enthousiasmer les Etats », commente Michel Prieur.

 

Après Fukushima, le droit des catastrophes tient une place importante dans les recommandations des juristes qui prônent « l’adoption d’un texte international contraignant indiquant les droits de l’homme à protéger et à promouvoir dans la prévention, la réponse et la reconstruction des catastrophes concernant les victimes potentielles et effectives et le personnel de secours, et qui vise à renforcer la résilience et à réduire les vulnérabilités ».

 

Du foncier aux paysages

 

Autre sujet : le paysage. « Il n’y a presque rien sur la question alors que beaucoup d’Etats d’Amérique du Sud s’y intéressent dans leurs politiques environnementales. Le paysage avait été oublié à Rio en 1992. Or il y a un grand intérêt pour mieux prendre en compte le paysage dans les politiques environnementales. Envisager une convention sur le paysage, ce serait déjà bien », souligne Michel Prieur.

 

Mais le sommet de Rio+20 est préparé bien tardivement, trop pour que de nouvelles conventions internationales soient élaborées en amont. Ce qui n’était pas le cas à Rio en 1992, qui a donné lieu à trois grandes conventions environnementales, « qui ne sont pas sorties du chapeau, mais avaient fait l’objet de deux ans de processus préparatoires », rappelle Michel Prieur. Le seul projet de convention négocié depuis deux ans pour Rio+20 porte sur un instrument contraignant sur le mercure, dit « Convention de Minamata », qui pourrait être prêt pour Rio.

 

Il faut aussi relier l’enjeu de la « green economy » à l’agriculture et à la question de l’appropriation des terres. « Les pays du Sud doivent être sensibilisés. Ce sont des thèmes majeurs à traiter à l’échelle mondiale. On saura en janvier avec le draft zéro si ce point sera à l’ordre du jour », souligne Michel Prieur. Les juristes recommandent « d’encadrer juridiquement les acquisitions foncières à moyenne et grande échelle en milieu rural, en soumettant les cessions privées au consentement préalable informé des populations concernées, en sauvegardant les droits fonciers locaux et en garantissent le paiement effectif de la valeur réelle des terres cédées ». Ils proposent en outre une Convention sur la sécurité et l’utilisation durable du sol.

 

A la lecture de ces recommandations, on est impressionné par la richesse des propositions. Qu’en sera-t-il retenu à Rio ? « Les juristes ont fait une offre abondante, aux Etats de faire leur marché pendant les prochains mois de négociations : c’est au politique d’indiquer les priorités », avise Michel Prieur. Les négociations ne font que commencer. Mais devront se conclure dans un temps record, en regard de l’ampleur des thèmes abordés.

 

Rio+20 Appel des Juristes et des Associations

 

APPEL DES JURISTES ET DES ASSOCIATIONS DE DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

 

Ouvert à la signature le 1er octobre 2011 pour être adressé aux États participants à la Conférence de Rio (4-6 juin 2012)

 

Nous juristes, exhortons solennellement tous les participants à la Conférence des Nations Unies de Rio de Janeiro (Brésil) des 20-22 juin 2012, à faire en sorte que cette Conférence soit au service de la protection du vivant et de l’Humanité dans le souci de préserver les générations présentes et futures des désastres écologiques notamment dus au changement climatique,

 

Nous juristes, préoccupés par la dégradation accélérée de l’environnement et désireux que les activités humaines respectent les limites écologiques de la Terre,

 

Nous juristes, réaffirmant le rôle indispensable du droit et des moyens mis en œuvre pour son application effective au plan international, régional, national et local afin de contribuer à l’amélioration continue de la qualité de l’environnement humain et naturel auquel chacun a droit,

 

Tenant compte des thèmes énoncés pour la conférence de Rio + 20 : « une économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté » et « le cadre institutionnel du développement durable »,

 

I. Appelons les États du monde entier à marquer l’importance politique de la Conférence de Rio par des signaux forts :

 

  • 1. La présence des chefs d’État et de gouvernement à la Conférence de Rio les 4-6 juin 2012,
  • 2. La réaffirmation solennelle des principes de solidarité internationale et de développement durable conditionnant la lutte contre la pauvreté et les inégalités,
  • 3. La proclamation de l’interdépendance entre la paix et la sécurité dans le monde, le respect des droits de l’homme et la protection de l’environnement.

 

II. Appelons les États à combler d’importantes lacunes du droit de l’environnement par :

 

  • 1. La consécration d’un principe de non-régression en droit de l’environnement,
  • 2. L’engagement des États à mettre en œuvre effectivement la démocratie environnementale telle que définie au principe 10 de la Déclaration de Rio de 1992 à travers les droits à l’information, à la participation et à l’accès à la justice, soit en ratifiant les instruments conventionnels existant dans ce domaine, soit en créant de nouvelles conventions régionales ou mondiale,
  • 3. L’engagement des États, selon les cas, à ratifier ou adhérer aux conventions de protection de l’environnement mondiale et régionales, déjà en vigueur ou non,
  • 4. L’engagement des États à signer à Rio la convention mondiale sur le mercure en cours de négociations sous l’égide du PNUE.

 

III. Appelons les États à s’engager dans des négociations devant aboutir à une véritable gouvernance mondiale de l’environnement :

 

  • 1. Par l’invitation transmise à l’Assemblée Générale et au Conseil de Sécurité des Nations Unies d’élargir à l’environnement les compétences du Conseil Économique et Social des Nations Unies et d’y assurer une représentation adéquate des ONG d’environnement,
  • 2. Par la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME), institution spécialisée des Nations Unies regroupant tous les États avec de nouvelles missions, dotée d’importants moyens et capable de renforcer les actions entreprises par le Programme des Nations Unies pour l’environnement,
  • 3. Par la création de mécanismes juridictionnels de résolution des conflits environnementaux y compris une Cour mondiale de l’environnement,
  • 4. En donnant une place accrue à la société civile et en particulier aux ONG d’environnement dans les processus décisionnels internationaux et régionaux touchant l’environnement et/ou le développement durable par l’adoption d’un ensemble de lignes directrices garantissant des standards minimum de participation dans ces processus ainsi que dans les organismes internationaux et régionaux,
  • 5. Par le renforcement de l’indépendance des organisations internationales garantissant l’absence de conflits d’intérêts. En particulier pour garantir l’indépendance de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en demandant de mettre fin à l’accord du 28 mai 1959 qui la soumet à l’AIEA pour les questions relatives à l’exposition aux substances radioactives et à ses conséquences pour la santé.

 

 

IV. Appelons les États à s’engager de plus dans des négociations devant aboutir à la conclusion de nouveaux instruments conventionnels sur l’environnement répondant à la fois à des nécessités impératives de santé, de préservation de la biodiversité et de droits humains :

 

  • Un Pacte international sur l’environnement et le développement,
  • Une convention relative à la protection des sols,
  • Une convention relative aux évaluations environnementales intégrant les aspects sociaux et culturels ainsi que les effets sur la consommation d’énergie,
  • Une convention relative à la pollution d’origine tellurique des mers et des océans,
  • Une convention relative aux aires marines protégées en haute mer,
  • Une convention relative à l’exploitation pétrolière offshore,
  • Une convention relative aux paysages,
  • Une convention relative à la protection de l’environnement en cas de conflits armés,
  • Une convention relative aux catastrophes écologiques
  • Une convention relative au statut juridique des déplacés environnementaux

 

 

V. Appelons les États à promouvoir une économie à même de favoriser la mise en œuvre du développement durable et participant entre autres à l’éradication de la pauvreté :

 

  • 1. En renforçant la responsabilité environnementale des entreprises sous son double aspect préventif et réparateur et en consacrant internationalement l’obligation de gouvernance sociale et environnementale incluant le respect de l’ensemble des normes en vigueur,
  • 2. En renforçant la capacité des juges à trancher les conflits environnementaux au moyen de formations garantes de leur indépendance et de leur professionnalisme y compris en créant, si besoin est, des tribunaux spécialisés sur l’environnement,
  • 3. Allant au-delà de l’Instrument international non contraignant actuel sur les forêts, en adoptant une convention sur les forêts dans les meilleurs délais et au plus tard à la date butoir de 2015 envisagée par le Forum des Nations Unies sur les Forêts,
  • 4. En consacrant le droit à l’eau et à l’assainissement dans le cadre du développement durable,
  • 5. En renforçant les droits sociaux et environnementaux du traité sur la Charte de l’énergie et en visant un accès universel à l’énergie dans un plan ambitieux de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA),
  • 6. Face au phénomène de l’accaparement massif des terres agricoles et des espaces naturels et ruraux et à l’accélération des impacts sur la sécurité alimentaire, la biodiversité et les sols :
  • en entamant d’urgence des négociations pour un Protocole à la Convention sur la Biodiversité dans le domaine foncier et des aires protégées ;
  • en créant rapidement, au sein de la FAO, un programme international d’actions pour le développement des agro-systèmes et leur préservation,
  • 7. En développant de nouveaux indicateurs qualitatifs et quantitatifs pour mesurer les progrès de l’environnement et du développement,
  • 8. En mettant en place, en application du principe de précaution, un mécanisme de contrôle et de régulation des nanotechnologies susceptibles d’affecter l’environnement et la santé,
  • 9. En favorisant la promotion et la valorisation d’un tourisme durable en cohérence avec les exigences conjointes de l’environnement et du développement.

 

Nous juristes, sommes convaincus, afin d’aboutir à une rapide mise en œuvre du développement durable, qu’il est vital de faire progresser le droit de l’environnement et de mieux l’intégrer dans les autres droits.

 

Pour une application effective du droit de l’environnement, il est nécessaire de renforcer l’action conjuguée des gouvernements et des parlements, des collectivités et communautés locales, des organisations internationales et régionales, de la société civile, des entreprises privées, des organisations de travailleurs, des ONG d’environnement et de développement durable.

 

Les juges, procureurs et avocats, tant nationaux que régionaux et internationaux ont une responsabilité particulière dans cette application effective vis-à-vis des générations présentes et futures.

 

Nous juristes, appelons les États représentants des Peuples à faire de la Conférence de Rio 2012 un moment décisif pour l’avenir commun de l’humanité et des écosystèmes.

 

Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (C.I.D.C.E.)

À Limoges, FRANCE, le 1er octobre 2011

 

Appel lancé suite aux travaux de la réunion mondiale des juristes des cinq continents et associations de droit de l’environnement réunis à Limoges (France) les 29, 30 septembre et 1er octobre 2011 (rapports disponibles accompagnés de 25 recommandations : www.cidce.org).

 

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