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26 mai 2012
Repenser le développement du monde: Le Brésil se met en scène à Rio+20
Catherine Aubertin est économiste, directrice de recherche de l’IRD, UMR GRED 220, IESA – Universidade Federal de Goias.
Lors de la première conférence environnementale des Nations unies à Stockholm, la conférence sur l’environnement humain, en 1972, le Brésil et la plupart des pays en développement avaient considéré que cette rencontre était une façon de dévoyer les débats au sein de l’ONU, le seul débat légitime étant celui du développement. Soutenir le développement contre l’environnement à cette époque là, n’était pas seulement s’opposer au malthusianisme que les pays riches voulaient imposer aux pays pauvres. Le PIB du Brésil connaissait alors une croissance à deux chiffres, sous une dictature militaire, au plus fort d’une politique d’exploitation effrénée des ressources naturelles et d’ouverture de routes en Amazonie.
Quarante ans après, à la veille d’accueillir la conférence des Nations unies pour le développement durable, Rio+20, le Brésil, devenu un des grands pays émergents, sixième puissance économique mondiale et un leader dans les négociations des conventions internationales sur la biodiversité et le climat, dénonce toujours « l’esprit de Stockholm ». Pour comprendre sous quels auspices géopolitiques s’ouvre la conférence de Rio+20, nous proposons de retracer la montée en puissance du Brésil sur la scène internationale, économique comme environnementale, puis comment il compte s’imposer comme chef de file pour repenser le développement mondial.
Repenser le développement mondial à Rio
Comme lors du sommet de Rio de 1992, le Brésil va d’abord recevoir la journée mondiale de l’environnement le 5 juin 2012, juste avant la tenue de la conférence des 20-22 juin. Le thème en est Economie verte : en faites-vous partie ? L’organisation de Rio+20 et de ses manifestations annexes est complexe : 120 chefs d’Etats et 50 000 personnes sont attendus. Le système de sécurité sera à la hauteur : hélicoptères, frégates, mobilisation des forces armées et de la police. La ville devra également recevoir la contre-conférence, le Sommet des peuples. La capacité hôtelière de Rio est saturée. La dispersion des évènements entre plusieurs sites risque de rendre les communications difficiles.
1. Une conférence sur le développement durable
C’est sur le terrain politique que les choses se jouent et que l’unité du pays s’affirme. Le Brésil entend bien rappeler aux pays développés que la donne a changé, qu’il ne faut toujours pas, comme à Stockholm, utiliser l’environnement pour nier le droit au développement des pays en voie de développement. Il n’est pas acceptable de répéter que, si le Brésil, la Chine et l’Inde copient le style de vie des pays riches, il serait nécessaire pour l’humanité de disposer de 5 planètes, sans demander des engagements forts et des actions concrètes aux pays riches.
Est ainsi dénoncée la volonté des pays développés de transférer sur les pays émergents la part de leur responsabilité, en particulier en termes de mobilisation de ressources en faveur des plus pauvres. Alors qu’à Durban le principe des « responsabilités communes mais différenciées », issu de la déclaration de Rio de 1992, avait été écorné par l’adoption d’une Plateforme pour une action renforcée qui réclame à tous les pays signataires de la convention Climat des efforts de réduction des émissions (à partir d’un accord qui serait adopté en 2015, à la COP21, pour une mise en oeuvre avant 2020), le Brésil et surtout la Chine en font un point non négociable. Le consensus national porte alors sur la décision de ne pas restreindre la conférence aux questions environnementales, mais de conduire une conférence sur le développement durable où doit se construire un nouveau paradigme pour repenser le développement du monde, à l’initiative du Brésil.
2. Une posture politique : un autre monde est possible à Rio+20
Un discours collectif se met en place, repris aussi bien par le président du comité brésilien du PNUE, Haroldo Mattos Lemos, que par le responsable du département environnement du ministère des Affaires étrangères, André Corrêa do Lago, par le secrétaire exécutif de la commission nationale Rio+20, Fernando Lyrio, ou encore par l’actuelle et l’ancienne Ministres de l’environnement, Izabella Teixeira et Marina Silva : non à une « économie verte » qui ne serait pas du « développement durable ». La distinction que le Brésil fait entre ces deux concepts, tout aussi flous et facilement interchangeables, vient d’une volonté de se démarquer des propositions des pays développés. Jouant sur sa situation de pays émergent, critiquant les pays riches, il se pose en donneur de leçons.
Le message, portée par la Présidente Dilma Rousseff, a été particulièrement explicite en janvier 2012, quand elle s’est rendue avec sept de ses ministres au Forum social thématique de Porto Alegre, sommet des altermondialistes, et non au Forum économique mondial de Davos, sommet des grandes puissances, qui se tenait au même moment. Seul, le Ministre des relations extérieures, Antonio Patriota, représentait le Brésil à Davos ; ni le Ministre de l’économie, ni le Directeur de la Banque centrale, n’étaient présents. Son discours a été fermement « anti-néolibéral » et développementaliste. Evoquant le sommet du G20 de Cannes, elle a identifié dans les remèdes anti-crise européens, le modèle conservateur qui avait conduit le Brésil, alors sous la coupe du FMI dans les années 1980- 1990, à la stagnation, à la perte d’espace démocratique et de souveraineté, aggravant la pauvreté, le chômage et l’exclusion. Le Brésil est vacciné contre le néolibéralisme.
Dilma Rousseff a souligné que la politique européenne de sortie de crise repose sur la perte des droits sociaux, alors que la politique brésilienne vise au contraire à financer les « droits fondamentaux » par une combinaison de programmes de redistribution de revenus et d’amélioration des services publics comme la santé et l’éducation. Elle a rappelé que 40 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté dans les dernières neuf années grâce à un modèle de développement durable qui combine forte croissance économique avec distribution de revenus. La Présidente en a profité pour donner une leçon de démocratie en affirmant que les agences de notation ne peuvent être plus importantes que les peuples qui ont élu leur gouvernement. Chaque pays doit rester souverain.
La communication du Brésil insiste sur le fait que la récession qui touche les pays européens ne doit pas empêcher de prendre des mesures : il faudra bien discuter de la crise de la dette à Rio et de la stratégie de l’Union européenne pour l’affronter. On a compris que le modèle de développement que le Brésil se propose de promouvoir est son propre modèle de développement et que son but à Rio est d’apparaître comme le champion du développement durable. Comme hôte de la conférence, et de par sa position de pays émergent qui semble lui conférer un rôle indiscutable de médiateur entre pays riches et pays pauvres, le Brésil compte bien diriger les débats et affirmer son rôle de grande puissance.