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04 août 2012
Penser la situation mondiale pour renouveler le mouvement altermondialiste
Par Gustave Massiah
Également disponible en Español
Le Conseil International du Forum Social Mondial (FSM) a programmé, pour sa réunion à Monastir, un débat ouvert sur la situation mondiale. Ce débat a plusieurs objectifs. Il s’agit d’apprécier l’évolution du processus des forums sociaux et de réfléchir sur la situation du Conseil International pour mieux prendre en compte les contradictions internes et pour accentuer le rôle du processus dans le renforcement des mobilisations et des luttes. Il s’agit aussi d’aider à la préparation du FSM de 2013 en Tunisie. Le débat ne doit pas se limiter à l’analyse, il devra mettre l’accent sur la manière de renforcer le processus au service des mouvements sociaux et citoyens. Ce texte introductif pointe les différentes questions qui caractérisent l’espace de ce débat : la crise et son évolution ; le nouveau cycle de luttes et de révolutions ; la bataille des idées ; les mobilisations et les transformations politiques ; la région Maghreb-Machrek ; la situation du processus des forums sociaux.
La crise et son évolution
Ce que l’on a convenu d’appeler la crise s’approfondit. La nature de cette crise a été à plusieurs reprises analysée dans les FSM, les Forums Sociaux thématiques et régionaux et le Conseil international. Il a été admis que la dimension financière, la plus visible, est une conséquence qui témoigne de la profondeur de la crise. Au-delà des crises ouvertes alimentaires, énergétiques, climatiques, monétaires, … la crise se caractérise par l’articulation de quatre dimensions : économiques et sociales, celle des inégalités sociales et de la corruption ; géopolitiques avec la fin de l’hégémonie des Etats-Unis, la crise du Japon et de l’Europe et la montée de nouvelles puissances ; idéologiques avec l’interpellation de la démocratie, les poussées xénophobes et racistes ; écologique avec la mise en danger de l’écosystème planétaire.
Il s’agit en fait d’une triple crise emboîtée : une crise du néolibéralisme en tant que phase de la mondialisation capitaliste ; une crise du système capitaliste lui-même qui combine la contradiction spécifique du mode de production, celle entre capital et travail, et celle entre les modes productiviste et les contraintes de l’écosystème planétaire ; une crise de civilisation, celle de la civilisation occidentale, qui nécessite de revenir sur les rapports entre l’espèce humaine et la nature qui ont défini la modernité occidentale et qui ont marqué certains des fondements de la science contemporaine.
Les résistances des peuples ont accentué la crise du néolibéralisme ; elles confirment le rôle des contradictions sociales dans l’épuisement de cette phase de la mondialisation capitaliste. Les inégalités sociales, le chômage, la précarisation ont fait baisser la consommation populaire et ouvert une crise de « surproduction ». Le recours au surendettement a trouvé ses limites ; par l’extension des marchés financiers dérivés, il a contaminé tous les marchés de valeurs. L’explosion des « subprimes » a marqué le passage de la dette des ménages à la dette des entreprises bancaires. Le sauvetage des banques par les Etats a ouvert la crise des dettes publiques. La réduction des déficits par les plans d’austérité est supposée permettre une solution à cette crise sans remettre en cause les profits et en maintenant le contrôle par le marché mondial des capitaux et les privilèges des actionnaires. Les résistances populaires s’y opposent. Cet affrontement a pris un tour aigué en Europe où se combinent particulièrement la crise économique et la crise géopolitique et où se joue le maintien de la suprématie du marché mondial des capitaux.
L’épuisement du néolibéralisme ne signifie pas pour autant le dépassement du capitalisme. Il ouvre une période de crise structurelle qui verra la confrontation entre trois issues possibles : le renforcement sous d’autres formes de la dictature financière et l’inclusion de la nature dans les circuits financiers ; un réaménagement du capitalisme fondé sur une régulation publique et une modernisation sociale ; une rupture ouvrant sur un dépassement du capitalisme. Les nouvelles situations seront caractérisées par des articulations spécifiques entre ces trois issues.
Le nouveau cycle de luttes et de révolutions
L’hypothèse c’est que la réponse des peuples, à l’accentuation de la crise en 2008 et aux politiques répressives d’austérité, ouvre un nouveau cycle de luttes et de révolutions. Le vent nouveau parti de Tunis s’est d’abord propagé en Egypte. Il a mis en avant la lutte contre les dictatures et il s’est étendu à toute la région Maghreb-Machrek. Il a traversé la Méditerranée et s’est propagé en Europe du Sud, en Espagne, au Portugal, en Grèce en posant la question de la démocratie réelle. Il a trouvé un nouveau souffle en traversant l’Atlantique à travers les “occupy” Wall Street, London, Montréal en désignant les oligarchies à travers le slogan “Vous êtes 1%, nous sommes 99%”. Il prend aujourd’hui des formes plus larges dans de nombreux pays du monde, au Chili, au Canada, au Sénégal, en Croatie, autour de la faillite des systèmes d’éducation et de la généralisation de l’endettement. « Ya basta ! », « Ca suffit ! » C’est ce qu’ont proclamé les peuples des places : « Plaza del Sol » à Madrid, « Paza de Catalunya » à Barcelone et dans bien d’autres villes, sur la lancée de la place de la Casbah à Tunis et de la place El Tahrir au Caire. Le pouvoir économique et le pouvoir politique, à travers leur complicité, ont étés désignés comme les responsables de la crise. Ce qui a été démasqué c’est la dictature du pouvoir financier et la « démocratie de basse intensité » qui en résulte.
Au delà des spécificités, ce nouveau cycle de luttes met en avant la justice sociale, le refus de la misère, des inégalités, de la corruption ; la revendication de systèmes démocratiques qui garantissent les libertés individuelles et collectives, la dignité de chacun ; les contradictions géopolitiques liées à l’hégémonie occidentale ; les contradictions écologiques de plus en plus sensibles. Elles mettent en lumière des contradictions sociales entre les couches populaires et les oligarchies. Ces revendications rejoignent des mots d’ordre partagés par les mouvements dans tous les pays du monde et à l’échelle mondiale. Elles les renouvellent et les font largement partager dans l’espace public en les construisant comme des évidences. Elles remettent en cause l’hégémonie culturelle nécessaire à la domination des valeurs de la bourgeoisie et des élites dirigeantes.
Ce qui émerge à partir des places, c’est une nouvelle génération qui s’impose dans l’espace public. Il ne s’agit pas tant de la jeunesse définie comme une tranche d’âge que d’une génération culturelle qui s’inscrit dans une situation et qui la transforme. Elle met en évidence les transformations sociales profondes liée à la scolarisation des sociétés qui se traduit d’un côté par l’exode des cerveaux, de l’autre par les chômeurs diplômés. Les migrations relient cette génération au monde et à ses contradictions en termes de consommations, de cultures, de valeurs. Les résultats sont certes contradictoires mais réduisent l’isolement et l’enfermement. Les chômeurs diplômés construisent une nouvelle alliance de classes entre les enfants des couches populaires et ceux des couches moyennes. Les nouveaux mouvements étudiants dans le monde marquent la faillite des systèmes éducatifs à l’échelle mondiale. D’une part, le néolibéralisme a rompu la promesse de lier l’éducation au plein emploi et le lien entre le bien vivre et la consommation. D’autre part, le surendettement des étudiants a violemment précarisé les nouvelles générations.
Cette nouvelle génération construit par ses exigences et son inventivité, une nouvelle culture politique. Elle modifie la manière de relier les déterminants des structurations sociales : les classes et les couches sociales, les religions, les références nationales et culturelles, les appartenances de genre et d’âge, les migrations et les diasporas, les territoires. Elle expérimente de nouvelles formes d’organisation à travers la maîtrise des réseaux numériques et sociaux, l’affirmation de l’auto-organisation et de l’horizontalité. Elle tente de définir, dans les différentes situations, des formes d’autonomie entre les mouvements et les instances politiques. Elle recherche des manières de lier l’individuel et le collectif. C’est peut-être à ce niveau que les réseaux sociaux divers portent de nouvelles cultures, à l’instar des collectifs de logiciels libres capables de mener collectivement des luttes offensives tout en sauvegardant jalousement l’indépendance des individualités. La réappropriation de l’espace public est une revendication de souveraineté populaire. Les places renouvellent les agoras. On occupe et on échange, non pas pour le vote, toujours nécessaire mais rarement suffisant. Ce n’est pas un changement du rapport au politique mais un processus de redéfinition du politique.
La question ouverte aujourd’hui est celle du rapport entre les nouveaux mouvements et le mouvement altermondialiste. Ces mouvements ne se sont pas organisés dans le mouvement altermondialiste, même si de nombreuses relations ont existé dès le début. L’hypothèse est que ce cycle de luttes correspond à une nouvelle phase du mouvement altermondialiste. Ce qui nécessite de considérer que le mouvement altermondialiste, en tant que mouvement historique et anti-systémique a commencé dès le début du néolibéralisme. Il a déjà connu plusieurs phases : en 1980, dans les pays du Sud contre la dette, l’ajustement structurel, le FMI et la Banque Mondiale ; en 1995, avec les luttes contre la précarité, le chômage et la casse de la protection sociale ; en 2000 avec le processus des forums sociaux mondiaux. Aujourd’hui les nouveaux mouvements marquent une nouvelle phase. Une nouvelle phase n’annule pas les phases précédentes. Chaque nouvelle phase prolonge et renouvelle les formes des phases précédentes. Elle les oblige à se transformer. Les nouveaux mouvements marquent la transition entre la dernière phase du cycle ouvert par le néolibéralisme et les mouvements anti-systémiques de la phase à venir.
L’affrontement idéologique
C’est dans la bataille des idées que l’affrontement a été le plus net. Les forums sociaux mondiaux ont mené cette bataille sur deux plans : celui d’une orientation alternative et celui des mesures immédiates à imposer par rapport aux conséquences de la crise sur les conditions de vie des couches populaires. Une orientation alternative s’est dégagée dans les forums sociaux mondiaux. On peut organiser chaque société et le monde autrement que par la logique dominante de la subordination au marché mondial des capitaux. On peut organiser chaque société et le monde à partir de l’accès aux droits pour tous et de l’égalité des droits, du local au planétaire.
De nombreuses propositions immédiates qui ont été avancées dans le Forums depuis dix ans. Par exemple : la suppression des paradis fiscaux et juridiques ; la taxe sur les transactions financières ; la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires ; la socialisation du secteur financier ; l’interdiction des marchés financiers dérivés ; les redistributions de revenus ; la protection sociale universelle ; etc. Ces propositions ne sont pas révolutionnaires en elle-même. Elles sont reprises aujourd’hui par des économistes de l’establishement et même par certains gouvernements. Mais ces déclarations ne sont pas suivies d’effet car elles nécessitent une rupture avec le dogme néolibéral et la dictature des marchés financiers. Et ce sont toujours ces forces qui sont dominantes et qui n’accepteront pas, sans affrontements, de renoncer à leurs gigantesques privilèges.
Dans les débats menés par les mouvements pour la préparation de Rio+20 on a vu la confrontation entre les trois sorties possibles de la crise structurelle. Le document de travail préparé par les Nations Unies et les Etats, est centré sur une vision de l’ « économie verte » que les mouvements contestent totalement. Dans cette vision, la sortie de la crise passe par l’élargissement du marché mondial, par le « marché illimité » nécessaire à la croissance. Elle propose d’élargir le marché mondial, qualifié de marché vert, par la financiarisation de la Nature, la marchandisation du vivant et la généralisation des privatisations. Cette démarche est entamée à l’inverse de toute démarche de régulation publique et citoyenne. C’est une extension de la logique néolibérale, celle d’un capitalisme dérégulé qui a conduit à la catastrophe.
Dans cette logique, il s’agit de s’opposer à l’idée que l’accès aux droits est acquis par la gratuité. La Nature produit des services (elle capte le carbone, elle purifie l’eau, etc.) L’affirmation est que ces services sont dégradés parce qu’ils sont gratuits. Pour les améliorer, il faut leur donner un prix, un prix défini par le marché. Il faut les marchandiser et introduire de la propriété. Il s’agit de remplacer le droit de propriété humaine sur la Nature par une propriété privée qui permettrait une bonne gestion de la Nature. Il faudrait laisser cette gestion de la Nature aux grandes entreprises multinationales, financiarisées, qui sauraient la gérer et pallier à ses insuffisances. Une nouvelle offensive est menée pour éliminer toute référence aux droits fondamentaux qui pourrait affaiblir la prééminence des marchés. Cette offensive vise à soumettre les Nations Unies aux pressions des multinationales, à subordonner le droit international au droits des affaires. L’alliance des Etats et des grandes entreprises financières marginalise le multilatéralisme et met en danger le droit international.
La deuxième conception est celle du Green New Deal, défendue par des courants modernistes, notamment par Joseph Stiglitz et Paul Krugman. C’est un réaménagement en profondeur du capitalisme qui inclut une régulation publique et une redistribution des revenus. Elle est peu audible car elle implique un affrontement avec la logique dominante, celle du marché mondial des capitaux, qui refuse les références keynésiennes et qui n’est pas prêt à accepter qu’une quelconque inflation vienne diminuer la revalorisation des profits. La situation nous rappelle que le New Deal adopté en 1933 n’a été appliqué avec succès qu’en 1945, après la deuxième guerre mondiale
La troisième conception est celle des mouvements sociaux et citoyens ; elle a été explicitée dans le processus des forums sociaux mondiaux. Les mouvements sociaux ne sont pas indifférents aux améliorations en termes d’emploi et de pouvoir d’achat que pourrait apporter le Green New Deal. Mais ils constatent l’impossibilité de les concrétiser dans les rapports de forces actuels. Ils considèrent que la croissance productiviste correspondant à un capitalisme, même régulé, n’échappe pas aux limites de l’écosystème planétaire et n’est pas viable.
Les mouvements sociaux préconisent une rupture, celle de la transition sociale, écologique et démocratique. Ils mettent en avant de nouvelles conceptions, de nouvelles manières de produire et de consommer. Citons : les biens communs et les nouvelles formes de propriété, le contrôle de la finance, le buen-vivir et la prospérité sans croissance, la réinvention de la démocratie, les responsabilités communes et différenciées, les services publics fondés sur les droits, etc. Il s’agit de fonder l’organisation des sociétés et du monde sur l’accès aux droits pour tous. Cette rupture est engagée dès aujourd’hui à travers les luttes, car la créativité naît des résistances, et des pratiques concrètes d’émancipation qui, du niveau local au niveau global, préfigurent les alternatives
Les mobilisations et les transformations politiques
L’affrontement idéologique est nécessaire. Surtout si on n’oublie pas la nécessaire bataille pour l’hégémonie culturelle. Mais elle n’est pas suffisante. Deux questions sont posées au processus des forums sociaux et au mouvement altermondialiste : celle des mobilisations et celle des transformations politiques.
Comment mener les mobilisations à la hauteur des enjeux ? Pour le processus des FSM, deux questions se posent. Le processus du FSM permet-il de renforcer la mobilisation des mouvements sur les plans nationaux et sur celui des grands thèmes de luttes (salariales, paysannes, femmes, droits humains, peuples indigènes, écologistes, etc.) ? Le processus des FSM permet-il de faire progresser la mobilisation à l’échelle mondiale par rapport aux pouvoirs financiers et au marché mondial des capitaux, économique et aux multinationales, politiques et aux institutions internationales ? Manifestement, des progrès sont indispensables dans ces domaines et ils nécessitent de nouvelles propositions.
Comment construire les débouchés politiques. Là aussi, la question se pose à deux échelles : celle des perspectives à long terme et celle des opportunités immédiates. Les mouvements qui composent le mouvement altermondialiste mettent l’accent sur la transformation en profondeur, la nécessaire transition, qui est une rupture, sociale, écologique et démocratique. Ils mettent en avant le nécessaire affrontement avec les marchés financiers qui détermine cette transition.
A long terme, il faut bien revenir sur la question du pouvoir. Si on maintient que la question politique passe par la prise du pouvoir d’Etat, par les élections de préférence. Ils sont alors enfermés dans une évolution vers des partis-état avec le risque de se couper des peuples qui se détournent du politique. Il faut aussi se poser la question de la nature contradictoire de l’Etat, instrument de la domination de la bourgeoisie et de sa reproduction, mais dans le même temps instrument de l’intérêt général et de la régulation publique et citoyenne. Il s’agit donc de définir les enjeux de la nouvelle révolution : la définition des nouveaux rapports sociaux, la réinvention de la démocratie et la nouvelle phase de la décolonisation.
Dans l’immédiat, le pouvoir politique se définit en situation. C’est dans chaque pays, au niveau national, par rapport aux Etats, que les mouvements doivent définir, en fonction des situations, le rapport aux partis politiques et aux instances politiques. De ce point de vue les mouvements, tout en gardant leur sens critique, ont la possibilité de juger de l’intérêt de certains régimes et de peser sur leur évolution. Au niveau mondial, le mouvement altermondialiste définit son action dans la bataille idéologique, dans la bataille des idées, pour le droit international. De grandes possibilités d’action existent pour les mouvements, notamment au niveau local et à l’échelle des grandes régions. L’autonomie des mouvements, qui n’exclut pas les engagements directs en situation, reste essentielle. Les mouvements participent à la séparation des pouvoirs nécessaire au respect des libertés individuelles et collectives qui définit une démocratie. L’enjeu est dans la réinvention du rapport entre pouvoir et politique.
Entre la question de l’urgence, celle de la dictature du réalisme, et celle de la transformation structurelle, les mouvements sont confrontés à la nécessité de définir une nouvelle pensée stratégique. D’autant que les mouvements sont confrontés à la question très difficile des nouvelles stratégies militaires, celle de la guerre sans fin et de la déstabilisation systématique.
La région Maghreb et Machrek
Le FSM aura lieu en Tunisie. Là où a commencé le nouveau cycle de luttes et de révolutions. Les insurrections méditerranéennes portent une espérance révolutionnaire. Il faut reconnaître que nous sommes dans une situation révolutionnaire, celle qui s’ouvre « quand ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés et quand ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner ». Ce qu’il y a de nouveau dans ce cycle de révolutions est en gestation ; il n’est pas prédéterminé. La période amène à ouvrir la discussion publique sur les révolutions et les ruptures. Quelques pistes peuvent être dégagées.
Le temps des révolutions est un temps long et n’est pas linéaire. Les ruptures ne sont pas définitives. Certaines situations sont déviées pour ramener les insurrections populaires à des guerres civiles. Les révoltes populaires contre les régimes dictatoriaux confrontés à des répressions sanglantes ouvrent, de plus, la possibilité à toutes les manœuvres des puissances dominantes et environnantes. Elles rendent plus difficile la perception des enjeux de long terme par rapport aux situations dramatiques.
Au-delà de la démocratisation, étape nécessaire, une orientation alternative à la mondialisation capitaliste est aujourd’hui en gestation. Elle doit répondre aux contradictions sociales, écologiques, géopolitiques, démocratiques. Un autre enjeu majeur est celui d’une nouvelle phase de la décolonisation qui correspondrait au passage de l’indépendance des Etats, qui a caractérisé la première phase de la décolonisation, à l’autodétermination des peuples. Cette nouvelle phase de la décolonisation ne se réduit pas à la montée en puissance des pays dits émergents. Elle se construit dans la convergence des mouvements qui a progressé dans l’espace des Forums sociaux mondiaux. Cette nouvelle phase de la décolonisation va mettre sur le devant de la scène les questions de l’épuisement des ressources naturelles, particulièrement de l’eau, du climat, de la biodiversité, du contrôle des matières premières et de l’accaparement des terres.
Une part de ce qui est nouveau cherche son chemin à l’échelle des régions et n’est visible qu’à l’échelle d’une génération. En Europe du Sud, il y a une trentaine d’années, les sorties des dictatures ont été rattrapées par des régimes ralliés au néolibéralisme qui ont montré les limites de la démocratisation. Cette situation dévoile l’impasse européenne et l’évolution de la nature de l’Europe qui est à réinventer. L’Amérique Latine est sortie des dictatures il y a moins de trente ans. La démocratisation a donné naissance à une période de démocraties bourgeoises. Ces régimes ont mis en place des systèmes de croissances néolibérales, conformes à la logique dominante, et des démocratisations plus ou moins limitées. Et les Etats-Unis sont passés du contrôle des dictatures à des formes de contrôle des démocraties bourgeoises. Mais, dans ce processus, de nouveaux mouvements sociaux et citoyens se sont développés, modifiant la situation dans de nombreux pays et dans la Région et ouvrant la possibilité à de nouvelles évolutions.
D’autres exemples permettent de réfléchir sur le temps long et chaotique des changements révolutionnaires. Le retour sur ces périodes permet de se souvenir qu’après les évènements révolutionnaires, s’ouvre souvent une période de reflux, voire de restauration. Ainsi des mobilisations de la période 1965 à 1973, dans le monde, qui verra la fougue des libertés retournée dans l’individualisme, la passion de l’égalité recyclée dans l’élitisme, l’amour de l’universel confondu dans l’occidentalisation, l’imagination canalisée par la marchandisation. Toutes les révolutions sont inachevées mais leur impulsion continue à progresser à travers les mouvements d’émancipation.
Dans la région Maghreb-Machrek, les contradictions vont s’amplifier entre les tentatives de régimes conservateurs et les nouveaux mouvements sociaux et citoyens. Que seront les nouveaux mouvements sociaux et citoyens qui vont se construire dans la nouvelle période. C’est dans cette perspective que se situe la réflexion sur l’évolution de l’islam politique. C’est aussi dans cette situation que la réalité migratoire dans toutes les régions montre l’importance, exacerbée par la crise, du racisme et de la xénophobie dans toutes les sociétés. Les sociétés sont multiples et le rejet de l’étranger met en danger la cohésion de chaque société.
La situation du processus des forums sociaux mondiaux
Le mouvement altermondialiste est un mouvement historique qui prolonge et renouvelle les mouvements précédents, le mouvement pour les droits civile et politiques, le mouvement ouvrier, le mouvement de la décolonisation, le mouvement pour le renouvellement de la démocratie. Il doit lui aussi se renouveler. L’épuisement du néolibéralisme, concurremment avec les volontés de dépassement, va déboucher sur une nouvelle phase de la mondialisation capitaliste avec une nouvelle logique, ses contradictions et de nouvelles forces anti-systémiques.
Le processus des forums sociaux mondiaux se diffuse. La nouvelle culture politique imprègne les initiatives et les mobilisations bien au-delà du processus. Les activités auto-organisées, la recherche de formes d’autorité qui ne reposent pas sur la hiérarchie, la diversité dans la convergence des mouvements deviennent des références admises.
Les forums thématiques approfondissent l’orientation stratégique, celle de l’égalité des droits et des mobilisations contre la logique du capitalisme. Ils portent et anticipent une nouvelle génération de droits (les droits de la Nature, la liberté de circulation, la souveraineté alimentaire, …). Ils mettent en avant des propositions pour les politiques publiques. Ils permettent les échanges sur les pratiques d’émancipation concrètes. Il s’agit de commencer dès maintenant de construire un autre monde à partir des alternatives et des ruptures nécessaires pour y arriver. La liste des forums thématiques, régionaux et mondiaux s’allonge ; on en compte une cinquantaine pour la période 2012 à début 2013.
Les forums nationaux et régionaux explorent des voies de transformations politiques et ouvrent la question de l’évolution des régimes et des rapports entre les mouvements et les Etats. Des politiques post-néolibérales sont en gestation. Elles ne sont pas anticapitalistes mais elles cherchent des voies d’autonomie par rapport au marché mondial des capitaux (taxes à l’exportation, nationalisations, …) et des possibilités de redistribution partielle. Elles se traduisent par une fragmentation du mouvement social. L’autonomie des mouvements sociaux reste la priorité, y compris dans les négociations et dans le soutien à certains régimes.
Une question reste ouverte, celle de l’évolution du Conseil International et de son rôle. Le mouvement altermondialiste ne se résume pas aux forums sociaux. De nouveaux mouvements ont pris une importance majeure. De nouvelles initiatives sont déjà en cours comme on l’a vu avec les mobilisations contre le G20 et le Sommet des Peuples à Rio+20. A partir du processus des forums sociaux mondiaux, il s’agit de penser le passage à une nouvelle étape, et d’engager un profond renouvellement du mouvement altermondialiste.
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