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20 novembre 2011
Libérer le système des relations internationales des politiques des puissances
Par Nils Andersson
de Nils Andersson, Conseil scientifique d’Attac
La phase actuelle du capitalisme, la mondialisation, pose inéluctablement aux forces dominantes, politiques et économiques la question de la structure du champ de leur hégémonie. Ainsi, le système des relations internationales, en raison même du processus de mondialisation et des crises successives qui l’accompagnent, se voit doté, en parallèle aux organismes universels du système onusien, de lieux de pouvoirs, de « directoires », à l’exemple du G 8 et du G 20 qui vont jusqu’à se présenter, de façon illégitime (la seule instance multilatérale et universelle étant les Nations unies), comme un « gouvernement mondial ».
Le nouvel ordre universel de droit nécessaire à la domination capitaliste au stade de la mondialisation (et les institutions dans lesquelles il se décline politiquement, économiquement et militairement, FMI, Banque mondiale, OMC, OCDE, OTAN, G 8 et G 20) pose, tout aussi inéluctablement, aux citoyens (comme cela s’est posé au stade de l’État-nation) la question de la démocratie dans le système des relations internationales.
Depuis toujours, ce qui caractérise ce système et le distingue du cadre étatique ou du cadre local, c’est d’être un système sans tête, qu’aucune instance ne contrôle. Certains le qualifient « d’anarchique », puisqu’il ne comporte pas « d’autorité » supérieure ; rien n’est plus faux, il s’agit au contraire d’un assemblage complexe d’organismes internationaux, d’une toile d’institutions régionales ou spécialisées et de directoires politiques, économiques, financiers et militaires ordonnés si ce n’est harmonieux, dans lesquels les décisions prises le sont sans que jamais les citoyens aient à se prononcer. Il s’agit d’un système, certes sans tête, mais non sans maîtres.
Avec le G8 et le G20, les principales puissances créent des lieux de libre arbitre, où elles décident entre soi et pour soi leur realpolitik, niant non seulement tout contrôle démocratique mais aussi le principe du multilatéralisme. Certes le G 8 n’est pas un organe décideur, mais c’est lors de réunions du G8 que fut préconisé au FMI et à la Banque mondiale d’imposer des plans d’ajustement structurels dans le but de libéraliser l’économie et d’imposer les lois du marché. Plans aujourd’hui appliqués dans le cadre européen par la Commission et mis à exécution par les gouvernements nationaux. C’est sur cette chaîne de pouvoirs, en s’appuyant sur les orientations du G8, les prescriptions du FMI, les règles fixées par l’Union européenne et en y ajoutant le chantage de ces Nostradamus de la finance que sont les agences de notation, tous ligués pour briser « l’exception française » et imposer les sacro-saintes règles de l’économie néolibérale sur lesquelles, lors de la lutte pour la défense du système des retraites, Sarkozy, minoritaire dans le pays, a fondé son rapport de forces. Sarkozy était chargé d’une mission, il avait l’obligation de se montrer inflexible car une carte essentielle de son jeu politique en dépendait, son autorité à la présidence du G 8 et du G 20 avec l’espoir, aujourd’hui déçu, que ses pairs et ses maîtres lui sauraient gré de son inflexibilité.
Il faut entendre que cette combinaison de pouvoirs, tenants de l’économie de marché (G 8, FMI, Bruxelles, gouvernements nationaux), va immanquablement se retrouver dans les luttes politiques et sociales à venir pour imposer un rapport de force défavorable à la volonté populaire. Devant faire face à ce dispositif où la nébuleuse du système des relations internationales joue un rôle de plus en plus important et dans lequel gouvernements libéraux et milieux financiers et économiques se conjuguent pour imposer leur loi, se pose donc avec acuité aux citoyens la question des lieux et des voies de la démocratie dans un monde globalisé.
Il est impératif, pour s’opposer au dispositif institutionnel politique, économique, militaire mis en place, de se doter, à un niveau mondial, de moyens et de formes d’expression. Idéologiquement, afin de rompre avec le discours unique selon lequel « il n’y a pas d’autres voies que d’effectuer des réformes structurelles », politiquement, pour défendre les acquis sociaux et réaliser des avancées, il faut penser une stratégie introduisant la problématique d’une expression citoyenne dans l’espace globalisé. La condition « d’État mondialisé » – on m’autorisera cette formule – n’est pas sans parallèle avec celle des États colonisés ; pour acquérir leur indépendance, une condition essentielle était le rapport de force intérieur, mais la décolonisation n’eût pas été possible sans le rôle d’un autre rapport de force, au niveau mondial, avec le mouvement des non alignés et le groupe des 77, dont Bandung fut le déclencheur. Modifiant profondément les équilibres dans le monde et dans le système des relations internationales, ce moment fut plus favorable aux revendications des peuples du monde que celui bloc contre bloc au sortir de la Seconde Guerre mondiale ou celui de l’hégémonie étatsunienne de l’après chute du Mur.
Chacun est conscient de la difficulté à faire émerger une conscience politique globalisée des acteurs au sein d’une société politique mondiale complexe à appréhender dans sa représentation (le système onusien), abstraite, sans lisibilité pour les citoyens (G 8, G 20, Institutions de Bretton Woods, OMC, OCDE, OTAN…). Mais, pour créer un autre rapport de force dans le système des relations internationales, le mouvement politique, social et associatif n’a pas d’autre voie que d’en finir avec des représentations alibis et d’imaginer, explorer, concrétiser, partant des mouvements à la base et en intervenant dans l’arène politique nationale, des formes et moyens d’expression citoyens, au sein des organisations globales.
Certes, on serine encore et toujours le discours selon lequel il n’y a aucune offre alternative, révolutionnaire, plausible. L’entreprise de décervelage à laquelle les citoyens ont été soumis, notamment depuis vingt ans, y participe, mais la machine à décerveler se grippe. Il suffit d’entendre les politiciens, journalistes et autres experts, au vu des événements dans le monde arabe, découvrir qu’un peuple peut se soulever contre la tyrannie et l’accaparement de la richesse nationale pour juger de leur désarroi et comprendre leur tartufferie [1].
Les certitudes qui se défont chez les élites, la crise du système, la crise de la démocratie représentative modifient la donne. Vient s’ajouter l’arrivée des nouvelles générations – chaque génération a son parcours, celle qui a vingt ans aujourd’hui n’est plus celle qui avait vingt ans en 1990. La nouvelle génération connaît les effets de l’économie de marché, sait en quoi consiste le nouvel ordre mondial ; elle en subit directement, dans son plus grand nombre, les conséquences. Ainsi se créent des conditions de rupture avec l’hégémonie idéologique néolibérale, un appel à sortir des fourches caudines de l’économie de marché et, condition nécessaire d’un autre rapport de force, une prise de conscience de l’obligation de libérer le système des relations internationales des politiques de puissances.
Les relations internationales doivent devenir, comme le social, l’écologie, le désarmement, un terrain de luttes politiques afin de faire prévaloir le multilatéralisme et d’y introduire de la démocratie. Pour s’opposer à la politique du G8, du G20, du FMI, de la Banque mondiale, de l’OTAN…, et à la pensée unique néolibérale, il ne peut y avoir d’efficacité réelle en portant des revendications morcelées, enfermées dans une conception occidentalo-centriste du monde ; sans réaliser des alliances montrant une capacité – comme l’a rappelé Immanuel Wallerstein lorsqu’il mentionne ce qui divise encore gauche politique et gauche indigène en Amérique latine – à dépasser des clivages sociaux, culturels, historiques.
Alliances dans le cadre local, national, continental, mais aussi global. Si, par exemple, les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ont, avec Bandung, modifié le rapport de force dans le système des relations internationales, pourquoi n’y aurait-il pas, aujourd’hui où la question écologique est une revendication planétaire, un Bandung écologique ? Autre éventualité : 116 États, soit une majorité des États membres de l’ONU, ont ratifié ou signé des traités régionaux de dénucléarisation. Si, sous la pression des peuples, ces États se constituaient en un groupe homogène, ils représenteraient une incontestable force de pression vers le désarmement nucléaire. Ou encore, envisageons la conjugaison de mobilisations citoyennes avec des initiatives étatiques alternatives, comme à Cochabamba sur le climat. Cet horizon qui se dessine, il faut le rendre possible.
C’est là une longue démarche ; elle demande de concevoir une stratégie du local au global, d’affirmer une volonté de rompre avec les tendances négatives à penser et à agir de façon morcelée, enfermé dans son pré carré, de marquer une détermination à mailler l’ensemble des revendications écologiques, sociales, humanitaires, démocratiques. Pour la première fois dans l’histoire se pose aux citoyens la question de chercher, d’explorer, au niveau du système des relations internationales, des formes d’expression démocratiques ; c’est là un défi majeur auquel nous nous devons de répondre ; les peuples ne se posent que les questions qu’ils peuvent résoudre.
Notes
(1) Ne doutons pas qu’ils ne manqueront pas de se ressaisir…
Régions
Monde
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