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Le « printemps arabe » : un premier bilan Le « printemps arabe »: un premier bilan

 

Bichara Khader est professeur et directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain (Cermac), Département des sciences de la population et du développement, Université catholique de Louvain-la-Neuve. Auteur de plusieurs ouvrages sur la Palestine, le Proche-Orient et les relations entre le monde arabe et l’Europe. A la faveur de révolutions sociales et démocratiques surtout portées par les jeunes, l’ensemble du monde arabe est entré dans une nouvelle ère, notamment constitutionnelle. Le mythe culturaliste de l’exception arabe s’est effondré. Les victoires électorales prévisibles des partis islamistes les placent face à de lourds défis politiques et économiques. Les risques sont légion, mais la dignité est retrouvée et l’instinct de liberté contagieux.

 

A la faveur de révolutions sociales et démocratiques surtout portées par les jeunes, l’ensemble du monde arabe est entré dans une nouvelle ère, notamment constitutionnelle. Le mythe culturaliste de l’exception arabe s’est effondré. Les victoires électorales prévisibles des partis islamistes les placent face à de lourds défis politiques et économiques. Les risques sont légion, mais la dignité est retrouvée et l’instinct de liberté contagieux.

 

Le basculement révolutionnaire de la Tunisie a pris le monde entier de court. Les Tunisiens eux-mêmes, acteurs de ce basculement, vécurent l’année 2011 dans un étonnement qui le disputait à l’incrédulité. Malgré des années de contestation du régime, les emprisonnements, la torture, l’exil de nombreux démocrates, et les révoltes périodiques de travailleurs qui ont rythmé les dernières années, « la Tunisie se voyait…assignée à une forme d’immobilisme politique » (Dakhlia, 2011). Le pays du « jasmin », comme le présentaient les affiches publicitaires, respirait la joie de vivre. « La Tunisie des plages occultait la Tunisie des rages ». Tout le monde s’accommodait de la situation. Mieux, les institutions financières internationales multipliaient les « satisfecit » en ce qui concerne la croissance économique du pays, tandis que certains dirigeants européens ne se sentaient pas particulièrement gênés par les atteintes systématiques aux droits de l’homme.

 

Mais le pays ressemblait à un vaste champ de broussailles asséchées qui n’attendait qu’une mèche pour s’embraser. Ce fut l’immolation de Mohammad Bouazizi le 17 décembre 2010. Depuis, tout un peuple s’est mis en marche sans crainte, sans leader, sans encadrement d’aucun parti politique. Le mur de la peur brisé, la dictature s’effondre. Le 14 janvier 2011, Bel Ali s’enfuit. Le 25 février, ce fut le tour de Moubarak, surnommé à tort « Pharaon d’Égypte ». Plusieurs mois après, Kadhafi est exécuté. Ali Saleh du Yémen résiste à la tempête, mais est contraint à passer la main et s’en va aux États-Unis (étrange ?) pour un exil médical. Bachar el Assad sévit sans retenue, mais il est aux abois. À Bahreïn, la monarchie sunnite minoritaire ne doit son salut qu’au soutien des autres pétromonarchies et à la complaisance américaine qui dispose, dans ce pays, d’une grande base navale.

 

Le brutal surgissement de l’événement révolutionnaire a été la riposte des sociétés civiles arabes à des décennies de dérives autoritaires. Brutal ébranlement certes, mais ce n’est pas un météorite tombé par hasard sur une banquise. Même imprévu dans la forme qu’il a prise, l’ébranlement n’était pas moins prévisible. Il y a eu, par le passé, des précédents dans des contextes différents : l’intifadah palestinienne en 1987, le printemps algérien de 1988, le printemps tunisien au tournant de 1990, le printemps de Damas, début 2000, l’ouverture parlementaire koweïtienne. Mais aucun précédent n’a donné lieu à un tel « tsunami » politique, à un tel chambardement. Attribuer tout cela aux « vents de la mondialisation », aux réseaux sociaux, aux chaînes satellitaires, serait un peu court, bien que cela ait joué dans l’amplification du phénomène. Plus fondamentale est l’usure de la logique autoritaire ou plutôt sa dérive prédatrice et dynastique.

 

Certains pays semblent pour l’heure faire figure d’exception. Les monarchies pétrolières peuvent compter sur les pétrodollars pour monnayer le silence de leur population (mais pour combien de temps ?). Les monarchies non pétrolières (Jordanie et Maroc) comptent sur leurs titres de noblesse, mais se voient néanmoins contraintes d’ouvrir le système politique de manière contrôlée. L’Algérie se protège derrière le paravent de l’armée, derrière les liasses de pétrodollars, mais aussi derrière l’amoncellement des souvenirs tragiques d’une guerre civile qui a fait plus de 150 000 morts dans les années 1990.

 

Un an après le déclenchement des révoltes démocratiques arabes, il est sans doute trop tôt pour dresser un premier bilan, car nous sommes toujours en pleine fièvre révolutionnaire et la situation est loin d’être stabilisée. Aussi ce texte se limite-t-il à esquisser un tableau des évolutions de la scène politique arabe depuis un an et épingler les premiers acquis de ce qui est désormais communément appelé le « printemps arabe ».

 

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