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10 avril 2012
L’ “économie verte” est-elle le nouveau consensus de Washington ?
I/ L’ « économie verte » : une nouvelle phase de l’expansion capitaliste et de l’ajustement structurel
Aujourd’hui nous sommes confrontés à des risques majeurs – une crise de civilisation – qui se manifestent dans plusieurs dimensions et sont exacerbés par des inégalités d’un niveau sans précédent. Les systèmes et les institutions qui maintiennent la vie et les sociétés – comme la production de nourriture et d’énergie, le climat, l’eau et la biodiversité, jusqu’aux institutions démocratiques et aux structures économiques – sont soumis à des attaques ou sont en crise et en situation de paralysie.
Dans les années 1980, confronté à une baisse de ses profits, le capitalisme a lancé une offensive massive contre les travailleurs et les peuples, cherchant à augmenter ses profits en élargissant les marchés et en réduisant ses coûts à travers la libéralisation financière et commerciale, la flexibilisation du travail et la privatisation des entreprises publiques. Ce massif « ajustement structurel » est connu sous le nom de « consensus de Washington ».
Aujourd’hui, face à une crise encore plus profonde et complexe, le capitalisme lance une nouvelle attaque qui combine les vieilles mesures d’austérité du consensus de Washington – comme nous pouvons le voir en Europe – avec une offensive pour trouver de nouvelles sources de croissance et de profits à travers, en particulier, l’ « économie verte ». Si le capitalisme a toujours été basé sur l’exploitation du travail et de la nature, cette dernière phase d’expansion capitaliste cherche à exploiter et tirer profit de l’attribution d’une valeur monétaire sur les capacités essentielles de la nature à donner la vie.
Le sommet de la terre à Rio de Janeiro en 1992 a jeté les bases institutionnelles pour une coopération internationale pour le « développement soutenable » basée sur des principes comme « pollueurs payeurs » ou la « responsabilité partagée mais différentiés » et le « principe de précaution ». Mais – toujours à Rio en 1992 – ce concept de « développement soutenable » était basé sur l’idée d’une croissance illimitée… Dans le même sens, en 1992 la conférence de Rio a reconnue pour la première fois les droits des communautés indigènes et leurs contributions centrales pour la préservation de la biodiversité. Mais, dans les mêmes documents, les pays industrialisés et les entreprises multinationales obtiennent la garantie du maintien de leurs droits de propriété intellectuelle sur les semences et les ressources génétiques qu’ils avaient volés pendant les siècles de domination coloniale.
Vingt ans plus tard, en 2012, le pillage continue. L’ « économie verte » est une tentative d’étendre la portée du capital financier et d’intégrer dans le marché tout ce qui reste de la nature. Le but est de réaliser cela en donnant une « valeur » monétaire ou un « prix » à la biomasse, à la biodiversité et aux fonctions des écosystèmes – comme le stockage du carbone, la pollinisation des récoltes ou le filtrage de l’eau – pour intégrer ces « services » comme des valeurs échangeables sur les marchés financiers.
II/ Qu’y-a-t-il est qui est derrière le projet zéro ?
Le « projet zéro » du document de l’ONU pour la conférence Rio + 20 sur le développement soutenable est titré « Le futur que nous voulons ». Au cœur de ce court texte on trouve la section « l’économie verte dans le contexte du développement soutenable et de l’éradication de la pauvreté ».
Le projet zéro – comme toutes les vicieuses attaques du capitalisme – est rempli de généralités qui cache les intentions réelles du texte. L’idéologie qui sous-tend le projet zéro est le rapport 2011 du PNUE « Vers une économie verte : les étapes pour le développement soutenable et l’éradication de la pauvreté » qui, lui, montre clairement l’objet réel qui est de développer le « capitalisme vert ».
A une échelle globale, l’économie verte cherche à dissocier la croissance économique de la détérioration de l’environnement à travers un capitalisme tridimensionnel qui inclut le capital physique, le capital humain et le capital naturel (les rivières, zones humides, massifs de corail, diversité biologique, etc.). Pour l’économie verte, la crise alimentaire, la crise climatique et la crise énergétique ont une caractéristique commune : l’absence d’allocation en capital. L’économie verte considère donc essentiel de donner un prix sur les services gratuits que les plantes, les animaux et les écosystèmes offrent à l’humanité au nom de la conservation de la biodiversité, de la purification de l’eau, de la pollinisation des plantes, de la protection des coraux et de la régulation du climat. Pour l’économie verte, il est nécessaire d’identifier les fonctions spécifiques des écosystèmes et de la biodiversité et de leur assigner une valeur monétaire, d’évaluer leur statut, de calculer la limite à partir de laquelle ils cesseraient de procurer les services et de concrétiser en termes économiques le coût de leur conservation avec comme objectif de développer des marchés pour chacun de ces services environnementaux. Pour l’économie verte, les instruments du marché sont les outils puissants pour gérer « l’économie invisible de la nature ».
Les cibles principales de l’économie verte sont les pays en développement qui ont la biodiversité la plus riche. Le projet zéro reconnait même qu’un nouveau cycle d’ « ajustements structurels » sera nécessaire : les pays en développement sont devant des défis majeurs pour réduire la pauvreté et assurer leur développement et une transition vers l’économie verte demandera des ajustements structurels qui pourrait induire des coûts additionnels pour leur économie.
Mais l’économie verte n’est pas une vision futuriste : elle est déjà là ! Comme le dit le projet zéro, « nous soutenons le cadre politique et les instruments de marché qui effectivement réduisent, stoppent et inversent la déforestation et la dégradation des forêts. C’est une référence à REDD (le mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et la dégradation des forêts), une initiative prise par la conférence des nations-unies sur le changement climatique qui consiste à isoler et mesurer la capacité des forêts à capturer et stocker le gaz carbonique pour permettre l’émission de certificats de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui peuvent être commercialisés et achetés par des entreprises de pays du nord qui n’arrivent pas à remplir leurs engagements de réduction de ces émissions. Nous avons pourtant vu que les marchés de crédits de carbone conduisent à : a) ne pas respecter l’obligation de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la part des pays industrialisés, b) ce que les ressources dégagées par ces certificats bénéficient à des intermédiaires et des structures financières et rarement aux pays, peuples indigènes ou aux forêts elles-mêmes, c) développer des bulles spéculatives basées sur l’achat et la vente de ces certificats, et d) à ce que s’établissent de nouveaux droits de propriété sur la capacité des forêts à capturer le gaz carbonique qui sont contraires aux droits souverains des états et des peuples indigènes qui vivent dans ces forêts.
Les postulats qui sont derrière l’économie verte sont faux. La crise environnementale et climatique n’est pas un simple échec du marché. La solution n’est pas dans la fixation d’un prix à la nature. La nature n’est pas une forme spécifique du capital. Il est faux de dire que n’attribuons de la valeur qu’à ce qui a un prix, un propriétaire et qui rapporte des profits. Les mécanismes de marché qui permettent les échanges entre êtres humains et nations ont prouvé leur incapacité à contribuer à une distribution équitable de la richesse. Le défi majeur pour pouvoir éradiquer la pauvreté n’est pas de croître indéfiniment, mais d’obtenir une distribution équitable de la richesse qui soit possible sous les limites du système terrestre. Dans un monde où 1% de la population contrôle 50% de la richesse de la planète, il ne sera pas possible d’éradiquer la pauvreté et de restaurer l’harmonie avec la nature.
L’agenda de l’ « Economie Verte »est une manipulation cynique et opportuniste de la crise écologique et sociale. Plutôt que de s’attaquer aux réelles causes structurelles des inégalités et injustices, le capitalisme utilise the terme « vert » pour lancer un agressif nouveau cycle d’expansion. Les entreprises et le secteur financier ont besoin des gouvernements pour institutionnaliser les nouvelles règles de l’économie verte pour leur fournir des garanties et créer le cadre institutionnel à la financiarisation de la nature. Beaucoup de gouvernements sont des partenaires volontaires dans ce projet dont ils pensent qu’il stimulera une nouvelle phase de croissance et d’accumulation.
C’est pourquoi cette « économie verte » est le nouveau consensus de Washington qui doit être lancé à Rio + 20 comme une nouvelle étape du capitalisme pour retrouver la croissance et les profits perdus. C’est n’est définitivement pas le futur que nous voulons !
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