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19 janvier 2012
Capitalisme kleptocrate, finances climatique et économie « verte » en Afrique
Également disponible en English
Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger.
L’Afrique reste à la merci d’une classe dirigeante internationale uniquement intéressée par la maximisation du profit à tout prix et par la consolidation de sa position, analyse Yash Tandon. A un moment où le continent est confronté à l’énorme défi du changement climatique et à la création d’une «économie verte» durable, un regard intérieur s’impose pour s’appuyer sur l’expertise et les ressources du continent, résistant ainsi à la tentation de s’appuyer sur les «experts» de l’extérieur, souligne Tandon.
Un des problèmes les plus difficiles de notre époque est d’assurer la croissance durable et le développement en Afrique tout en protégeant l’environnement et en garantissant que cette croissance profitera aux communautés entières et non seulement à une petite minorité. Je ne voudrais aborder ici que deux points. D’une part pour dire que le modèle de développement de l’Afrique est sérieusement vicié dans la mesure où il ne s’est pas traduit par une amélioration du niveau de vie de la population au cours des 40- 50 dernières années. D’autre part, je voudrais mettre en garde les pays africains et l’Union africaine contre la délégation de questions politiques, en particulier celles qui concernent des négociations internationales – comme le cas du changement climatique – à des « experts » extérieurs à l’Afrique.
En 2011, un document de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (UN Economic Commission for Africa) a noté que, en dépit d’un taux de croissance élevé en Afrique, aucune amélioration n’a eu lieu du point de vue de l’emploi ou du niveau de vie des gens ordinaires. Le document cite, comme raison principale, la dépendance de l’Afrique à l’exportation de matières premières. Je suis d’accord mais, à mon avis, la raison principale en est le système global de production et d’échange dont l’Afrique fait partie (AUC/UNECA 2011)
Le système global de production de richesse et de distribution reste caractérisé par la kleptocratie, l’accumulation primitive et la dépossession. Les économistes appellent cela « rechercher des rentes » et justifient la pratique en parlant des « surplus » des régions rurales et agricoles qui sont requis pour que l’Afrique puisse croître et s’industrialiser. La méthode avait été utilisée en Occident et ceci est historiquement vrai.
Toutefois, le modèle du capitalisme à ses débuts au 19ème et 20ème siècles n’est pas applicable à l’Afrique aujourd’hui, parce que nous vivons dans un monde différent. Un monde capitaliste kleptocrate. Certains intellectuels de gauche appellent cela « financiarisation du capitalisme « . Un système où règne la finance et dans lequel la production vient en deuxième position. Mais ce terme se limite seulement aux caractéristiques économiques prédominantes. En terme politico-économique, l’essence du capitalisme kleptocrate est un système de production et d’échanges. Avec la création d’une richesse fictive – sans passer par la création d’une véritable richesse – et la gouvernance politique laissée aux mains de pilleurs et de bandits. C’est la » recherche de rentes » par les nations riches et à l’intérieur de chaque nation, par une économie riche et l’élite au pouvoir. Ceci génère d’un autre côté la dépossession et l’affaiblissement des masses.
Ce qui se passe en Europe est un bon indicateur. Les banquiers allemands et français achètent des bons du trésor grec, garantis par le gouvernement grec. La raison ostensible étant de renflouer le Trésor grec en faillite. Mais au cours de ce processus, les banques exercent des pressions au travers de leur gouvernement respectif, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne, du Fond Monétaire International (FMI) pour qu’ils imposent de sévères mesures d’austérité au peuple grec afin que le gouvernement ne se mette en cessation de remboursement des emprunts. sinon, il mettrait en péril le projet du système monétaire européen tout en entier et peut être le projet européen tout entier dans la mesure où il est largement soutenu par les multinationales européennes et le capital financier.
Les populations grecs et irlandaises doivent souffrir afin que le « système « survive. La survie du système est plus importante que le bien-être de la population. Le terme « risque systémique » est devenu partie intégrante du vocabulaire des économistes depuis la fusion économie/finance des années 1997/1998. L’Irlande était un « donateur d’aide » pour l’Afrique. C’était seulement hier, aujourd’hui c’est une nation qui mendie et qui en est réduite ainsi par le système bancaire global à la Ponzi.
Le capital globalisé (ce qui se désigne sous le terme d’« investissements directs à l’étranger » (IDE) et ses diverses manifestations – les banques, les compagnies d’assurance, les agences de transport, les spéculateurs sur les matières premières, les grossistes, les chaînes de vente au détail, etc.- se sont ligués avec les économies locales et les élites au pouvoir dans les pays « bénéficiaires », avec pour mot d’ordre : « accumuler, accumuler et accumuler ». Même la Chine et l’Inde ne sont pas à l’abri de ce virus : les déplacement de population loin de leur terre créent des problèmes gigantesques dans ces pays.
Ces « nouveaux » pays capitalistes sont toujours significativement sous-développés du point de vue de la science et de la technologie. Les batailles pour la propriété intellectuelle dans le cadre de l’Organisation Mondiale pour la Propriété Intellectuelle (OMPI) et dans le monde des multinationales industrielles témoignent de ce combat. Le pouvoir du système bancaire/financier se trouve dans les mains des conseils d’administration d’une douzaine de grands acteurs qui sont la JP Morgan Chase, Citigroup Inc., Bank of America Corp, Morgan Stanley, Goldman Sachs et Merill Lynch. Ils opèrent dans un marché dérégulé, c’est à dire hors de tout contrôle national, même de la part des Etats-Unis. Comme des pieuvres, ils ont des tentacules partout, y compris en Chine, en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud.
L’Afrique minée
L’Afrique a été l’un des principaux pourvoyeurs de ressources pour le système capitaliste kleptocrate global. Par le moyen de la soi-disante « aide au développement » et les IDE, les ressources africaines sont exploitées afin d’entretenir le « système ». En réalité, les investissements et « l’aide » sont un gigantesque système de crédit qui crée des montagnes de dettes que l’Afrique doit repayer sous forme de transferts de valeurs réelles – café, cacao, coton, platine, or, chrome, manganèse, uranium, titanium et autres minerais de grande valeur. Dans un article récent du directeur général de l’Organisation des Nations pour le Développement Industriel (ONUDI) Kandeh Yumkella et DE Rob Davies, [4] le ministre sud-africain pour le Commerce et l’Industrie les auteurs disaient que l’Afrique possède entre 80 et 200 milliards de barils de pétrole dans son sous-sol, mais que la majeure partie en est exploitée par des multinationales globales. Dans le cas du titanium, une tonne rapporte à l’Afrique 100 dollars en taxes d’exportation, pendant que cette même tonne rapporte 100 000 dollars à des pays hors de l’Afrique ; ce qui fait une proportion de 1 à 1000.
Derrière l’exploitation grossière des ressources africaines se trouve le système global de crédit géré par la Banque Mondiale, le FMI et l’industrie de l’assistance. « L’aide au développement » est ainsi une plaisanterie (Tandon 2008). Ce que le FMI et le système bancaire dominés par la France et l’Allemagne ont fait aux pays européens de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande) ces dernières années est exactement ce que le FMI, la Banque Mondiale et la communauté des soi-disant « donateur » ont fait à l’Afrique au cours de ces cinquante dernières années.
L’Afrique a ses propres puissances de surconsommation et son élite économique (ploutocrates) est de mèche avec leurs seigneurs impériaux – les banquiers bandits et les multinationales globales- qui exploitent la population. Une des manifestations de leur cupidité est la ruée massive sur les terres dont nous sommes les témoins aujourd’hui, avec une bonne part de responsabilité qui incombe à ces ploutocrates nationaux. De plus, nombre de gouvernements africains vendent ou louent des terres agricoles à des investisseurs étrangers européens, américains, indiens, chinois des pays du Golfe et de plus loin encore. On enregistre une ruée sur toutes les ressources africaines, pas seulement la terre, mais aussi les forêts africaines, le pétrole, l’or et les diamants.
Le prix de cette intense exploitation est payé par les gens ordinaires. Dans plusieurs cas qui ont abouti devant les tribunaux en Afrique du Sud, des dizaines de milliers de mineurs ont obtenu peu ou pas de compensation pour des maladies pulmonaires professionnelles après avoir travaillé dans des mines d’asbestose et d’autres environnements toxiques. Des centaines de milliers d’Africains des régions rurales ont été déplacés et dépossédés afin de faire de la place aux accaparateurs de terre nationaux et étrangers pour faire pousser – ô ironie – de » la nourriture pour les pauvres « , avec un recours à l’agrochimie ou aux biocarburants magiques, le « carburant vert « de la jatropha. Ces déplacés climatiques envahissent la campagne et les régions périurbaines africaines.
AGRA (Alliance pour la révolution verte en Afrique) est un des exemples de cette forme d’exploitation encouragée par les économistes africains du courant dominant et des élites au pouvoir. Sous prétexte de fournir à l’Afrique des cultures de denrées alimentaires « adaptées au climat » et des fleurs, les fondation Rockefeller et Bill Gates ont fondé AGRA (avec la bénédiction de l’ancien secrétaire général des nations Unies, Kofi Annan) et font la promotion des cultures dépendantes de l’agrochimie en utilisant des OGM . Leur objectif, ou tout au moins le résultat final, crève les yeux : le contrôle de la matière vivante africaine afin de générer des super profits pour les méga multinationales de la chimie et des semences.
Du Mali au Mozambique, de petits paysans résistent à la mainmise sur leur terre et leur maigre subsistance. Mais ils sont éparpillés et trop peu organisés sur le plan politique pour monter une résistance effective. Lorsque les « Printemps arabes » surgiront des villes de ces pays, les millions de déplacés et de sans-droits iront comme des nuées rejoindre les « armées rebelles » afin de jeter en bas de leur perchoir tous les dictateurs néocoloniaux africains.
Ceci, en résumé, était le premier point. A l’une des extrémités du spectre, l’Afrique est dirigée par un système global kleptocrate qui enrichit un nombre minuscule de l’élite économique et du pouvoir ainsi que les dirigeants des banques et des multinationales. A l’autre extrémité, elle appauvrit les masses africaines . Les économistes appellent cela » la quête des rentes ». Mais c’est simplement du pillage.
Que faire ? Bien que le sujet soit trop vaste pour recevoir une réponse complète, je voudrais citer deux exemples de modèles contrastés qui illustrent la conception de comment l’Afrique peut faire face à ses défis. L’un est le deuxième Industrial Policy Action Plan ( IPAP-2) en Afrique du Sud établi sur » des mesures politiques basées sur le marché », les méga projets du complexe de Coega près de Port Elisabeth et le marché du carbone. C’est un chemin déjà parcouru et le résultat est prévisible. Le deuxième modèle est la promesse qu’a faite le gouvernement du Rwanda, lors de la 9ème session du Forum sur les forêts, et qui avait pour objet la réduction de la pauvreté des « communauté vivant dans la forêt », avec un plan sur 25 ans pour venir à bout de la dégradation de l’environnement et améliorer les moyens de subsistance des populations rurales.
Ce qu’il y a de significatif dans le projet rwandais est sa conception duale qui vise autant à sauver la forêt que les communautés forestières. Pour les écologistes, les forêts sont simplement une masse de végétation qui, d’une part, fournit du carburant (bois de feu) et d’autre part fonctionne comme des « poumons » absorbant du dioxyde de carbone pour contrer le réchauffement global. Mais à part la forêt, il y a aussi les gens qui y vivent. Le défi c‘est de sauver à la fois la forêt et les communautés forestiers, les gens autant que l’environnement. Ceux qui, à l’intérieur des gouvernements et parlements africains sont sensibles aux besoins existentiels de la population, doivent soutenir les mouvements populaires qui portent de tels défis. Un exemple de ces mouvements est le Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) qui coordonne et renforce de nombreuses associations de femmes rurales travaillant au salut de leur communauté et de l’environnement.
De COP 17 à Rio+20 et au delà
Mon deuxième point est d’une actualité plus immédiate. Alors que j’écris ces lignes en septembre 2011, il reste moins de deux mois jusqu’à la 17ème conférence des Parties à l’UNFCCC ou COP 17 en novembre 2011 et moins d’une année jusqu’à Rio +20 (Conférence des Nations Unies pour le développement durable) qui aura lieu au Brésil du 14 au 16 mai 2012. Dans ce court laps de temps, les gouvernements africains et les militants des organisations de la société civile pourraient tirer la leçon du Cop-15 à Copenhague en 2009 et du COP-16 de 2010 à Cancun, ces deux conférences n’ayant laissé qu’une grande insatisfaction chez ceux qui luttent pour sauver l’environnement ainsi que les communautés qui vivent de ce que la nature leur donne.
Dans la perspective de cette conférence, je veux me concentrer sur une seule leçon : l’Afrique doit se méfier du recours aux finances (ou « l’aide au développement ») des pays industrialisés qui sert « à diviser pour mieux régner » sur les pays en voie de développement. De façon générale, s’il existe une ligne de démarcation à peu près complète entre le Nord et le Sud, c’est bien la question du changement climatique.
Jusque dans les années 1990, la majeure partie de la recherche et des négociations diplomatiques sur le réchauffement climatique portait sur la limitation des émissions. Le langage de l’adaptation est apparu dans le cadre du Protocole de Kyoto en 1997, et résulta principalement de la pression exercée par les pays en voie de développement. Le UNFCCC, qui jusque là s’est concentré sur l’atténuation, reconnaît maintenant la signification de l’adaptation et la responsabilité historique des pays industrialisés pour compenser les pays en voie de développement pour les dommages causés à l’environnement au cours de la période d’industrialisation. Cette responsabilité historique se reflète dans les dispositions du traité de l’UNFCCC qui obligent les pays industrialisés à fournir un flux financier nouveau et additionnel (ainsi qu’un transfert de technologie) vers les pays en voie de développement afin de supporter les frais encourus par ces derniers pour l’implantation des mesures prévues par l’UNFCCC et pour prendre des mesures en vue d’une adaptation. Le Protocole de Kyoto a endossé ces principes en établissant deux catégories de nations avec une responsabilité commune mais différenciée : les pays de l’Annexe 1 et les pays de l’Annexe 2.
Au niveau international, l’Afrique est membre du Groupe des 77 plus la Chine (G77+Chine) qui est le premier groupe de négociateurs pour les pays en voie de développement dans les discussions sur le changement climatique. Ce Groupe inclut aussi des pays de l’Organisations des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). Avec un groupe aussi hétéroclite, il est naturel que des différents surgissent en ce qui concerne leurs priorités et leurs préoccupation. Les pays industrialisés profitent de ces différents pour « diviser et dicter » aux pays en voie de développement les conditions de négociation du changement climatique. Ce qui rend l’Afrique vulnérable, c’est sa dépendance de l’Occident pour « l’aide au développement » et « l’expertise technique ».
Une illustration significative reste la façon dont les pays occidentaux ont utilisé l’argent et « l’assistance technique » comme moyen de garantir l’issue de COP 16 à Cancun, après leur échec au COP 15. L’Europe et les Etats-Unis ont mené une offensive concertée afin de semer le trouble dans les rangs des pays du Sud. Une partie de cette offensive était visible et ouverte, comme l’utilisation de « l’aide au développement ». D’autres initiatives étaient clandestines et secrètes comme l’utilisation du réseau américain d’espionnage, en partie exposées par Wikileaks
Le plus gros « pot de vin » a été les 100 milliards de dollars promis pour financer l’adaptation et le développement à faible émission de carbone des pays les plus pauvres d’ici à 2020. C’était de la poudre aux yeux. L’Afrique ne devrait pas en rêver. Même si cette somme se matérialisait, l’argent serait si fermement attaché à d’innombrables conditions que cela reviendrait à sacrifier la souveraineté des nations africaines sur l’autel du « Capitalisme vert » et de la « bonne gouvernance ». Au début 2011, les Etats-Unis ont bloqué une subvention d’environs 350 millions de dollars, qui devaient être déboursés par le Millenium Challenge Corporation, pour améliorer le secteur de l’énergie du Malawi sous prétexte que ce pays n’avait pas respecté les questions des droits humains et de bonne gouvernance. En ce qui concerne le fonds de100 milliards de dollars, le fait qu’il sera administré par la Banque Mondiale suggère qu’il sera conditionnel dans les mêmes termes.
Dans un rapport de février 2011 intitulé « Storm on the horizon ? Why the Wold Bank Climate Investment fund could do more harm than good » (Tempêtes à l’horizon? Pourquoi le fond d’investissement pour le climat pourrait faire plus de mal que de bien dans les mains de Banque Mondiale), Eurodad (un réseau de 57 ONG européennes provenant de 19 pays) argumente que la Banque Mondiale n’est pas l’institution la plus appropriée pour élaborer une architecture financière propice au développement et au climat pour le futur. De façon générale, de nombreuses ONG européennes se trouvent proches de préoccupations africaines. Ma propre expérience, lorsque j’ai travaillé avec elles dans le domaine des Accords de Partenariat Economique que l’Europe essaie imposer aux pays africains, ont été très positives. Ceci dit, il est important que les pays africains soient autonomes dans les domaines liés à des politiques, en particulier lorsqu’il est question de négociations avec le système global. C’est plus facile (et moins coûteux) de tout déléguer à des « experts » des ONG occidentales, partant de l’idée qu’il manque aux pays africains les experts et l’argent pour les financer.
Les organisations officielles d’assistance sont plus malignes et plus directes que les ONG. Elles utilisent la politique de la carotte et du bâton. Un bon exemple en est la façon dont les organismes officiels d’assistance ont corrompu le processus desdites négociations de « paix » en Palestine, au cours de ces 50 dernières années. Suite à la demande d’adhésion de la Palestine aux Nations Unies en septembre 2011 des organisations d’assistance occidentale ont, sans vergogne, brandit l’arme de « l’assistance » afin d’essayer de « persuader » la Palestine de retirer sa demande. Ayant dépendu de l’assistance occidentale pendant les cinq dernières décennies, les Palestiniens se trouvent face à un sérieux défi : la survie physique des individus ou la survie en tant que nation.
Il n’y a évidemment là rien de neuf. « L’aide au développement » n’a jamais eu rien à voir avec le développement. Cela a toujours été une question de pouvoir et de politiques. L’aide officielle porte souvent le masque de la « charité », camouflée dans le cadre des soi-disant » droit humains », ainsi que des ONG « écologistes », des réseaux et des fondations. La fondation Bill et Melinda Gates en est un bon exemple. Dans leur blog, ils se présentent eux-mêmes comme étant « poussé par les passions et les intérêts de la famille Gates » c’est-à-dire « …globalement d’améliorer les systèmes de santé et de réduire la pauvreté… et d’améliorer l’accès aux technologies de l’information ». La sincérité de la famille Gates n’est pas en question. Ce qui est en question c’est le « cadre de développement » dans lequel des millions de dollars sont déboursés en Afrique, entre autres endroits, et le tort, intentionnel ou non, que l’apport de cet argent inflige aux entreprises et aux innovations locales.
Ceci est pertinent dans le cadre des négociations sur le changement climatique. Alors que nous approchons du COP-17 et Rio+20, il est important que la Commission de l’Union africaine constitue son propre réseau d’experts pour conseiller les pays africains dans les domaines techniques et politiques susceptibles de surgir dans les mois à venir. C’est dans cette perspective que je dois mettre en garde les pays africains à l’encontre de processus mis en place par plusieurs parties intéressées en Occident afin d’offrir des « conseils techniques » aux « pauvres »pays africains.
Le Climate and Development Knowledge Network (CDKN) constitue une telle initiative. Le CDKN, établit en mars 2010, est un consortium de consultants et de groupes de réflexions qui aident les décideurs dans les pays en voie de développement à ébaucher et à réaliser » un développement compatible avec le climat ». CDKN prétend qu’il peut aider les pays africains à optimiser leurs occasions de « piocher » dans les finances climatiques et augmenter leur capacité à gérer ces fonds. Il les assistera aussi dans l’évaluation des risques et vulnérabilités climatiques, leur fournira de l’assistance légale au travers du Legal Response Initiative (LRI). Le CDKN offre « du temps et des conseils juridiques gratuits aux négociateurs du climat ». De quoi le rendre suspect. Pourquoi devrait-il offrir des conseils « gratuitement » ? Quel est son agenda ? Qui le finance ? Est-il injuste de se demander qui profite à terme cette entreprise de conseil « gratuit » ?
Il n’y a rien de gratuit.
Le CDKN inclut la grande maison de consultants multinationale de comptabilité et de commerce, le géant de Price Waterhouse and Coopers, l’Overseas Development Institute (ODI), un groupe de réflexion international sur les questions humanitaires et de développement, dont le quartier général est en Grande Bretagne, la Fundacion Futuro Latinamericano (FFLA) basée en Equateur, une organisation qui promeut du développement durable en réponse au Sommet de la Terre de 1992 à Rio, SouthSouth North, un réseau d’organisations qui se concentrent sur la réduction de la pauvreté dans le contexte du changement climatique, avec des bureaux en Afrique du Sud, au Brésil, en Tanzanie, au Mozambique et en Indonésie, l’organisation de droit privé LEAD, consultant en développement basée au Népal et l’ONG internationale INTRAC basée en Grande Bretagne ; qui fait de la formation et de la recherche.
Je connais très bien quelques une de ces organisations pour avoir eu, par le passé, à faire avec elles. L’ODI, par exemple, se présente comme « un centre de réflexions indépendant sur les questions de développement international et humanitaires ». Suite à ma propre expérience avec elle, dans le domaine de l’aide au développement, du commerce et Accords de Partenariat Economiques, je puis dire sans hésitation que c’est véritablement le prolongement de la politique étrangère britannique – l’aspect civilisé de la diplomatie impériale britannique dont le bras armé comprend la force, y compris les sanctions et la guerre.
« Etablir des politiques » ne doit pas être un domaine que les gouvernements africains délèguent à quelqu’un hors de l’Afrique. C’est mieux que l’Afrique développe sa propre expertise plutôt que de dépendre de l’aide extérieure. Pas seulement lors des négociations sur les changements climatiques, mais bien dans tous les domaines qui ont une importance vitale pour l’Afrique. Il est évidemment compréhensible que certains pays africains n’aient pas les ressources nécessaires pour mettre sur pied centres de réflexions et institutions de recherche. Mais ils peuvent profiter d’institutions plus importantes dont ils sont membres. La plus importante institution collective est bien sûr l’Union africaine. Mais il y en a d’autres. Par exemple, les pays africains sont significativement représentés dans le South Centre, créé en 1998 grâce à l’impulsion de Julius Nyerere et de Mahathir Mohammed. Le Centre est bien placé pour fournir de l’expertise technique dans toute une série de domaines qui vont des négociations commerciales aux droits de la propriété intellectuelle, au financement du développement et, bien sûr, au changement climatique. Par exemple, le South Centre a fait une contribution significative à la Commission de l’Union Africaine lors des négociations des Accords de Partenariat Economique lors d’une réunion de la Commission de l’Union africaine à Kigali en novembre 2010.
Conclusion et Post-criptum
Le véritable savoir ne provient pas de l’information mais d’une connaissance approfondie et extensive de la situation de l’Afrique. Il y a une différence essentielle entre information et compréhension (verstehen en allemand), un examen participatif et interprétatif du phénomène social. La réalité fondamentale de l’Afrique est qu’elle est intégrée dans un système global de capitalisme kleptocrate caractérisé par une accumulation à outrance ou « quête de rentes », par les nations riches et à l’intérieur de chaque nation par les riches élites au pouvoir.
Ceci génère à l’autre bout du spectre la dépossession et la destitution des populations. Dans la phase actuelle de son évolution, le capitalisme est pris aux pièges de ces propres contradictions, mais il ne va pas disparaître. C’est un long chemin.
Confrontée aux défis de « l’économie verte » qui garantit une « Afrique viable », l’Afrique doit faire la part des choses, entre les droits humains et les besoins de ses populations et l’impératif de protéger l’environnement africain. L’Afrique ne devrait pas remettre les questions politiques et les stratégies de négociations à des experts extérieurs, malgré leur apparence bénigne. Par-dessus tout, le continent doit élaborer une position commune, se montrer unie pour les négociations sur les changements climatiques, s’allier avec d’autres pays du Sud tant pour le COP-17 que pour le Rio+20. L’Union Africaine et le South Centre peuvent jouer un rôle significatif sur le chemin vers Rio+ 20 et au-delà.
Il y a des domaines qui dépassent les négociations du COP-17 et de Rio+20. Lors du COP-16, dont n’est sorti aucun accord contraignant sur la réduction des émissions de carbone, la Bolivie a pris une position courageuse en défiant tout le concept des négociations et a soulevé une question vitale : les droits de la Terre Mère. L’ambassadeur de la Bolivie auprès des Nations Unies, Pablo Solon, a, depuis lors, fait de nombreuses présentations dans diverses arènes internationales sur ce concept révolutionnaire. L’espace qui nous est dévolu ici ne nous permet pas d’élaborer. Lors du COP-16, la Bolivie était isolée mais lors de la conférence de Cancun elle a fait savoir qu’elle considérait la conférence comme un pas en arrière, prise de position qui a été endossée par le groupe des 77, les 131 pays en voie de développement y compris la Chine.
Dans l’intervalle, des organisations de la société civile dans le monde entier, impliquées dans les négociations sur le climat, ont exprimé leur souci que certains des aspects techniques et d’autres domaines plus larges ne seront pas abordés sérieusement lors du COP-17. Le lobby pour la justice climatique en Afrique du Sud a exprimé sa préoccupation concernant le manque de leadership moral et politique dans le pays qui va héberger la conférence. Autre souci, le fait que Trevor Manuel, un ancien ministre des finances d’Afrique du Sud et un adepte enthousiaste du néolibéralisme connu, va, semble-t-il, co-présider le Green Climate Fund.
Il est probable que le COP-17 va être dominé par d’autres développements plus urgents et immédiats. Parmi ceux-ci, il y a l’aggravation de la crise économique et financière qui submerge le monde occidental, la possible dissolution de l’Union européenne, l’effet global du déclassement des taux de crédit américain, la guerre prolongée en Libye, le meurtre de plus de 70 personnes en Norvège par un psychopathe qui s’avère ne pas être un terroriste islamiste (comme les médias l’ont initialement laissé entendre) et le soulèvement tumultueux de la population marginalisée du monde occidental, y compris, en août 2011 dans les grandes villes britanniques. Tous ces éléments pourraient bien avoir pour conséquences de faire passer au deuxième plan la question climatique pour la communauté internationale alors que nous approchons du COP-17
Pourtant, dans l’époque où nous vivons, il est important que les citoyens ordinaires du monde prennent un peu de recul et considèrent le chaos et le charivari qui submerge le système capitaliste kleptocrate global et voient les négociations sur le changement climatique, non pas comme un élément isolé, mais bien comme faisant partie d’un malaise plus large et plus profond auquel est confrontée l’humanité. C’est une crise de l’humanité. C’est une crise plus profonde résultant de la faillite totale et complète de l’élite politique globale qui n’a pas su fournir de leadership moral et politique, et le domaine du changement climatique n’en est qu’un parmi d’autres, le plus fragile et le plus instable. Si des politiciens cyniques et les « bancocrates » exploitent le système à leurs propres fins d’accumulation de richesses et de pouvoir, ceci n’invalide pas la demande des citoyens pour la justice, la démocratie, les droits humains, la sécurité de l’environnement et la résolution pacifique des conflits. C’est bien sûr une lutte compliquée. Mais la complexité n’est pas une excuse pour la complaisance.
Notes
- African Union Commission and United Nations Economic and Social Council Economic Commission for Africa. 2011. ‘Governing development in Africa: The role of the state in economic transformation’, issues paper. Meeting of the Committee of Experts of the 4th Joint Annual Meetings of the AU Conference of Ministers of Economy and Finance and ECA Conference of African Ministers of Finance, Planning and Economic Development. Addis Ababa, Ethiopia. March 24-27.
- Tandon, Y. 2008. ‘Ending aid dependence’. Oxford: Fahamu Books.
- Yumkella, K. and R. Davies. 2011. ‘South of the Revolution’. Project Syndicate. www.trademarksa.org/news/yumkelladavies-south-revolution
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